Saison Un

: Obscure Prophétie

— Merci…

Je hoche la tête après m’être exprimée d’une voix timide. Puis le silence s’installe, l’ambiance paraissant plombée à jamais après cette dernière question. J’en ai oublié notre activité du jour, les yeux perdus sur des milliers de grains de sable comme s’ils pouvaient me ramener à cette époque lointaine où tout allait bien dans ma vie.

Puis une nouvelle question arrive. La fameuse. Sauf que lui, il connait déjà une partie de la réponse. Je n’ai donc qu’à hocher la tête pour confirmer à nouveau avant d’agrémenter mon geste de quelques détails supplémentaires qui risquent de ramener le policier dans une toute autre réalité :

— Oui, c’est Ciboulette qu’il brille dans mes yeux. Maintenant, on est toujours ensemble, comme ça plus jamais on pourra être tout seuls comme au bal ! Mais là il va vraiment pas bien, Ciboulette, alors c’est surtout moi qui veille sur lui. Il se réveille juste un peu quand je risque vraiment de faire une grosse bêtise, mais c’est toujours épuisant pour lui.

En vrai, il dort pas vraiment. Il dort jamais. Mais il est genre… inactif. C’est trop bizarre ! Je le sens en moi, et lorsqu’il réagit, je réalise qu’il suit absolument tout ce qui m’arrive chaque jour sans en rater une miette, il arrive même parfois que certaines de ses pensées creusent parmi les miennes. Pourtant, je sais qu’il est, en quelques sortes, pas là à certains moments.

— Je crois que du coup, mes yeux, ils font peur aux gens. Mais c’est vraiment pas juste ! Moi je veux pas le cacher, Ciboulette, pasqu’il mérite pas qu’on ait peur de lui. Quand il était gigantesque et qu’il a libéré toutes les âmes tuées par les cavaliers qui avaient super peur et que ça a cassé la malédiction, bah Ciboulette il s’est fait super mal juste pour que tout il aille mieux ! Il aurait pu remourir ! Alors je ferais tout pour qu’il aille mieux mon copain.

Il avait l’air de le connaître, alors ça m’a paru évident qu’il savait que Ciboulette était le Pitrouille des cavaliers. Du coup, j’ai dit tout ça en feignant l’évidence, comme si de rien était. Au final, ça risque de faire un paquet de révélations d’un seul coup… Et peut-être un paquet de question pour les suivre ! Mais Ciboulette et moi, on a rien à cacher. Encore moins à un monsieur de la maréchaussée.

Anty semble vraiment s’intéresser à Ciboulette. Il parait notamment intrigué par le fait que le Pitrouille se soit joint aux cavaliers durant l’apocalypse.

— Ben, pasque c’est les cavaliers qui tuaient tout le monde, alors Ciboulette il avait juste à rester avec eux pour que toutes les âmes elles le trouvent sans se perdre ! Dès que quelqu’un il mourrait, Ciboulette il lui mettait la lumière et hop, la personne elle venait avec lui ! Sans ça, les gens morts ils se seraient tous perdus en ayant très très peur.

Loin d’imaginer les pensées de l’adulte, je réponds avec franchise sur tout ce que je sais. Et je sais que je sais ce qui est vrai, pasque j’ai même entendu maman quand c’est arrivé ! Elle était toute effrayée à cause de sa mort, et quand Ciboulette l’a libérée, bah ça l’a trop soulagée de pouvoir aller enfin dans l’au-delà et se reposer pour toujours ! Et tout ça, c’est que grâce à Ciboulette !

Par la suite, Anty souhaite plutôt m’expliquer les problèmes des gens vis-à-vis de ma possession. Je hoche la tête, compréhensive malgré que cela ne change rien à mes yeux.

— Ben oui, je sais ! C’est pour ça que je les laisse faire sans bouder, même qu’en plus on essaye d’aider tout plein, et tant pis si moi je suis fatigué.

Hélas, faut avouer que jusqu’ici, mon plan n’a pas trop marché. Ni pour Ciboulette, ni pour Kedal, d’ailleurs. C’est à se demander si c’était une bonne idée…

— Mais c’est quand même pas juste pour Ciboulette.

Comprendre leurs réactions n’est pas les approuver. Ciboulette mérite mieux après tout ce qu’il a fait ! Disant cela, je reprends la collecte de déchets, Prince s’écartant légèrement sans pour autant aller trop loin, de crainte que je m’évanouisse à nouveau.

Alors que le flot continue des vagues s’écrasant sur la plage berçait jusqu’ici notre conversation, le clapotis d’une créature vivante pataugeant dans l’eau pour rejoindre la rive attira mon attention. Fouifi, ma Fouinette, venait de rejoindre le sable pour s’ébrouer avec force, juste après avoir déposé son colis : un poisson fraichement tué. Une fois satisfaite d’avoir évacué un maximum d’eau hors de ses poils, l’animal s’installa tranquillement sur place pour commencer à dévorer son repas, tout en jetant un coup d’œil dans notre direction, l’air de s’interroger de la présence d’un étranger à mes côtés.

Je ne fais aucune remarque sur sa présence, considérant cela normal, et préfère reprendre la conversation avec l’officier de la maréchaussée :

— De toute façon, je vais rentrer à Kedal. Où que j’aille, il m’arrive toujours des problèmes, alors le mieux c’est encore que je rentre. Là-bas, je sais qu’au moins, les gens ils seront contents que Ciboulette et moi on soit là pour qu’ils aient à manger.

Manquerait plus que je pousse trop et qu’on se retrouve avec une deuxième catastrophe digne du bal ! S’il m’arrivait vraiment quelque chose, Ciboulette il se retrouverait tout seul.

Long et fatigant. Oui, ça résume bien. Je soupire à cette conclusion évidente.

— Prêts ou pas, les gens m’écoutent jamais de toute façon. Et après ils sont tout étonnés que le méchant que moi je dis qu’il est dangereux depuis des mois, il tue des gens en faisant le cavalier.

Fouifi dévore son poisson sous nos yeux, visiblement affamée. Elle est restée auprès de moi plus qu’à l’accoutumé ces derniers jours, suite à ma dernière hospitalisation. J’imagine qu’elle n’a pas eu l’occasion de manger à sa faim, puisqu’elle refuse d’être nourrie par autrui. Surtout que par miracle, ou par habitude de survie, elle a la sagesse de ne s’attaquer qu’à des créatures sauvages. Difficile de bien se nourrir quand il faut traverser la moitié de la ville avant de trouver la moindre proie.
Même pour elle, Kedal sera bien. Elle n’aura pas à aller bien loin, comme je le fais tous les jours pour chasser un peu.

L’idée de me voir rentrer enchante le membre de la maréchaussée. Voilà même qu’il me propose son aide ! Loin d’attendre grand-chose de sa part, après ce qu’il a déjà provoqué, je hoche la tête sans grande conviction :

— Si vous voulez.

Bien sûr que je serais heureuse d’avoir de l’aide. Tout ce qui peut aider Ciboulette ! Mais on m’a déjà fait le coup. Son spécialiste des spectres risque d’être encore un de ces types qui vous noient sous l’eau pour essayer de faire mal au fantôme, je veux pas de ça ! Du coup, je lui laisse sa chance, sans pour autant en être enthousiaste.

Un nouveau papier déchiré rejoint la charrette. Puis je titube et m’y rattrape in-extremis, manquant de renverser le tout. Heureusement que Prince me surveillait depuis mon dernier geste de fatigue, sa queue s’est immédiatement abattue sur la charrette pour la maintenir en place tandis que sa tête m’interceptait, collée contre mon torse.

Nouveau soupire de ma part. Parfois, faut juste se rendre à l’évidence. Je sors une énième fois de l’hôpital. Même avec toute la bonne volonté du monde, j’arriverai à rien aujourd’hui.

— Je vais devoir arrêter là. Je suis fatiguée, dis-je en me frottant l’œil de mon poing.

Fouifi se rapproche en quelques bonds, sa gueule encore rouge du sang de sa proie abandonnée à moitié mangée. Elle bondit sur mon épaule, pose une patte sur mon front puis peste de colère en me pointant la direction de notre hôtel. Il n’y a que Piège pour ne pas réaliser la situation et continuer son festin de déchets abandonnés.