Saison Un

: Obscure Prophétie

Je marche parmi les lavandes à un rythme lent, paisible. Après avoir passé un certain temps à voyager de ville en ville pour aider les gens, j’ai décidé de prendre une pause bien méritée au calme, loin de tout. Le champ des lavandes, à proximité d’où je me trouvais, me semblait tout indiqué pour ça.

J’y respire les odeurs de fleurs en gardant mon regard porté vers la plage, non loin d’ici. Prince, gigantesque Dunaconda, s’y est arrêté pour ne pas ravager les champs de fleurs. Le Kraknoix qui nous a rejoint aux dunes Dunaja trône sur sa tête, comme souvent, et s’émerveille autant si ce n’est plus que son camarade à la vue des vagues s’échouant sur le sable fin, à la fois comparable à celui de leur terre d’origine et si différent.
À mes côtés, il n’y a que Truc et Fouifi. Le premier gambade de fleur en fleur, humant les doux parfums qui s’en échappent avec joie. Il n’avait plus eu l’occasion d’agir ainsi depuis son accident. Puisqu’il était condamné à rester dans mon sac, ce genre de petits plaisirs nécessitaient que je le trimballe de fleur en fleur et qu’il m’indique celles qui l’intéressaient le plus, chose trop rébarbative à ses yeux. Mais à présent que deux roulettes supportent l’arrière de son corps grâce à tout un attirail fabriqué par la famille de Krystal, le petit Vivaldaim peut de nouveau vivre sa vie comme il l’entend. Ajoutez à cela le serre-tête amélioré par la mamie de Roger qui l’affuble d’un mignon nœud papillon jaune, et le daïm parait être le plus heureux de la terre !

Pourtant, ce n’est pas vraiment le cas. Il se retourne une énième fois en m’entendant tousser, son regard triste quêtant le soutien de la fouine sur mon épaule. Mais Fouifi, elle, n’en a rien à faire de Truc. Installée sur mon épaule avec sa queue enroulée autour de mon cou, la Fouinette préfère faire cavalière seule. Pourtant, elle aussi réfléchi à une solution d’éliminer cette maladie. Hélas, si forte qu’elle soit devenue, du haut de sa petite personne elle en est incapable.

Du mouvement attire alors l’attention du Vivaldaim parmi les fleurs. Son visage s’illumine sitôt qu’il reconnait Ambroise ! Après l’avoir salué d’un brame chaleureux, il s’amuse à lui tourner autour pour lui montrer sa nouvelle acquisition, visiblement très fier de son fauteuil à roulettes.
Pour ma part, je marque un temps d’hésitation en voyant l’humain et ses Pokémon débarquer, surprise d’être rejoint par un visage connu en un lieu aussi isolé. Mais sitôt qu’il essaye de prononcer mon nom, mon sourire revient, amusée par sa maladresse.

— Kata ! C’est Kata moi, hihi !

Et lui, c’est… Roger. Oui, c’est ça, Roger. Je m’en souviens maintenant. Je me frotte un œil de fatigue avant de répondre à sa question avec autant de franchise que possible :

— Bof, j’ai attrapé ce machin que tout le monde a, et Ciboulette est encore plus pas bien que moi, mais on tient le coup ! Et toi, comment tu vas ?

Mon timbre fatigué est bien loin de celui enjoué de notre dernière rencontre. Pour autant, je ne me laisse pas abattre. Petit à petit, je reprends des forces. J’ai bon espoir de redevenir aussi énergique qu’avant le bal un jour !
Je détourne néanmoins la conversation dès qu’on m’en donne l’occasion, histoire d’éviter ces sujets ennuyeux qui comblent la majorité des discussions depuis mon réveil :

— Tu étudies les fleurs ici aujourd’hui ? Ça doit être plus amusant que celles du marais !

Et tandis que je parle, sur mon épaule, Fouifi dévisage l'humain d'un œil mauvais. Pour elle, c'est un énième trouble-fête qui s'invite à notre journée de repos.

Roger a l’air en meilleure forme que moi, c’est cool ! En tout cas, il est toujours aussi bizarre : avant, il allait dans les marais chercher des fleurs, et maintenant il va chercher des pokémon dans un champ de fleur ! Mais l’inverse, ça serait mieux non ? Y’a plein de Pokémon dans les marais ! Il a l’air d’aimer les trucs compliqués, ce monsieur. Mais c’est pas grave ! Le plus important, c’est que c’est grâce à lui que Truc il a son nœud papillon !

— Ouiiiiii ! Keuf, keuf.

Trop d’engouement, beaucoup trop d’engouement ! J’en oublie que je suis malade. Je reprends donc avec moins d’enthousiasme :

— Voui, on y est allé tout de suite après le marais, elle a été trop gentille ta mémé ! Du coup, je l’ai aidée pour tout ce qu’elle voulait toute la journée !

C’est vraiment pas la peine d’insister pour que je me retrouve à faire des choses pour les autres, je suis toujours partante.
On est alors interrompus par un drôle de Pokémon jaune. Les plantes, c’est pas mon truc, surtout celles qui sont pas à Kedal. Je m’y intéresse pas, attendant juste que Roger ait fini sa cueillette pour reprendre la conversation. Par contre, la bestiole qui traine sur son épaule m’intrigue : elle était pas là, la dernière fois ! Et si elle est sur son épaule comme Fouifi le fait, c’est surement qu’elle le suit ! Sans un bruit, j’approche mon doigt de la petite plante pour la poker, toute curieuse.

— C’est quoi ? finis-je par demander à Roger alors qu'il achève sa capture.

J’ai pas vraiment remarqué la capture, j’ai cru qu’il cueillait des fleurs, ça m’a même surpris d’entendre le clac habituel de la pokeball. Truc, par contre, n’en a pas loupé une miette. Il accoure (puisqu’il le peut désormais) pour féliciter ses copains Ambroise et Roger de ses joyeuse brailleries.

Tout cela donne un bordel un peu trop soulant pour Fouifi, qui finit par bondir de mon épaule pour rejoindre la terre ferme en arrière. Elle écrase quelques fleurs en atterrissant, en balaye d’autres de ses mouvements de queue brusques, et coupe carrément de ses griffes les quelques-unes qui lui barrent la route. Il semblerait que Fouifi n’aime pas les fleurs, ce qui n’a rien de surprenant. En attendant de trouver un Pokémon à se mettre sous la griffe, elle peut bien se défouler avec ce qui traine autour d’elle. Et que ces intrus s’estiment heureux qu’elle ne se défoule pas directement avec le chaton.

De mon côté, j’ai un soudain éclair de génie en repensant à la mamie de Roger :

— OH, mais j’y pense, les cavaliers ils sont passés là-bas aussi ! Elle va bien ta mamie, hein ? Dis ! Est-ce qu’elle a besoin qu’on l’aide ?

Une mamie si gentille ! Je serais prête à la porter jusqu’à Kedal pour lui prêter une maison si la sienne était toute cassée !

Oh bah, elle est toute timide la fleur ! Elle s’est enfuie quand je l’ai touchée. Je me passe une main derrière la tête, toute gênée d’entendre ça de la part de Roger qui me la présente malgré tout :

— Ah bah pardon Astéra ! Elle est toute mignonne, j’en avais jamais vu !

Ou jamais remarqué, vu la taille. Si ça se trouve j’en ai écrasé plein sans les voir parmi les champs de fleurs dans ma vie ! Mais laissons-là cette pensée et reportons notre regard vers le tout aussi mignon Truc et son copain chat.
Ambroise a réagi à la brutalité de Fouifi. Percevant un début d’agressivité à son encontre, la Fouinette se contente de lancer un regard meurtrier de biais à l’étranger. Un début d’aura ténébreuse enveloppe l’une de ses mains, signe d’une attaque prête à être lancée au moindre conflit.
Heureusement, le chat n’insiste pas. D’ailleurs, Truc l’en aurait empêché : dès qu’il remarque l’échange de regard entre les deux Pokémon, il passe devant le Skitty pour frotter gentiment son museau contre le buste de son copain, s’interposant ainsi entre les deux ennemis potentiels. Il couine quelques inquiétudes pour expliquer à son ami qu’il vaut mieux ne pas se frotter à la Fouinette. Dans le désert, il avait eu de la chance qu’Auriel soit là pour le remettre sur pattes. Si un combat éclatait aujourd’hui… certains pourraient finir dangereusement blessés.
Sans s’attarder davantage sur le Skitty mécontent, Fouifi reprend sa marche pour s’éloigner de nous, sans se priver de couper d’autres fleurs sur sa route bien évidemment.

Pour ma part, je suis soulagée d’entendre Roger dire que la mamie va bien. Je souffle aussitôt… puis m’interrompt lorsqu’il renvoie la question. Je suppose qu’il a senti ma gêne, puisqu’il s’excuse vite, mais c’est un peu tard. Enfin, c’est pas sa faute, il pouvait pas savoir !
Je secoue la tête, ne souhaitant pas l’accabler davantage.

— C’est rien… Y’a un cavaliers qui est venu à Kedal. Mes parents, ils sont ranger comme moi, alors ils ont aidé les gens.

Je marque un blanc. Néanmoins, je reste fière. Aucune larme ne coule, aucun bredouillement. Juste une tristesse évidente lisible à travers mes yeux lumineux.

— Maman et Grand Dada, ils ont retenu le méchant autant qu’ils pouvaient pour que Papa, Volti et tous les autres ils puissent partir.

Papa a pas voulu me raconter en détails. C’est compréhensible. Puis je l’ai entendue, maman, ce jour-là… Elle était toute triste d’avoir pas réussi, alors ça devait être terrible. Par contre, papa il voulait absolument que je sache que maman c’était une héros. Qu’elle avait été très courageuse, et aussi qu’elle m’aimait beaucoup beaucoup. Mais tout ça… je le savais déjà. Papa n’a même pas eu à m’apprendre la nouvelle. Je crois que ça l’a beaucoup soulagé de voir que je savais déjà en rentrant, vu comment il tremblait en essayant de parler.
Et lui aussi, il devait trouver ça bizarre que je sois aussi neutre en écoutant et racontant tout ça. Triste, la mine basse, mais j’encaisse. Je dirais même que je l’encaisse bien mieux que bien des choses moins terribles de ces derniers mois. Je me dis que j’ai grandi. Je suis peut-être plus courageuse. D’un coup, oui. Par contre, je me suis mue dans le silence devant Roger, pensive et ressassant de tristes souvenirs.