Saison Un

: Obscure Prophétie

Pokémon de Kata : Ciboulette / Truc / Fouifi / Piège / Pêche / Kipix

Une page se tourne. Une autre. Encore une. Quelle activité longue et chiante. Comment les gens peuvent aimer faire ça pendant des heures et des heures ? Rien que lire une phrase est une véritable torture, alors un bouquin entier rempli de ça… Brrr, l’enfer !
Et pourtant, l’impossible est en train d’arriver. Aujourd’hui, une Kedalienne se trouve au milieu de la bibliothèque, avec sa tenue de chasse et son gros sac cliquetant à chacun de ses pas. J’ai même deux preuves de mon métier sur place ! Mes deux premiers compagnons, qui ont bien souffert depuis ce premier jour.
Truc, le Vivaldaim, parait s’en être bien remis depuis. Il a son chariot à roulette pour courir, et un bourgeon sur son crâne marque la renaissance de sa fleur. Il est aussi bien plus sage qu’avant, au point que je puisse l’emmener dans cette bibliothèque sans qu’il y foute le boxon. Certes, il a fallu que je lui explique que ces rangées de machin feuillus n’ont rien d’un restaurant chic, et qu’aucun de ces bouquins n’est comestible, mais une fois la première idée passée, il s’est installée près d’une table pour s’occuper de sa camarade sans faire davantage de bruit.
Faut dire que sa camarade, Fouifi la Fouinette, est en bien mauvais état comparé à lui. Un épais bandage enserre son torse pour recouvrir sa blessure, et elle semble plongée dans un profond sommeil, tel un ours hibernant jusqu’à l’été. Je l’ai installée sur une chaise, à hauteur de Truc afin que le petit daim puisse poser son museau contre la blessure de Fouifi et lancer quelques synthèses pour soulager sa peine et sa douleur. Depuis le temps, c’est surement plus nécessaire, mais je ne dis rien : ça lui fait plaisir de prendre soin de sa camarade, il se sent utile le petit.

Personne d’autre n’est sorti aujourd’hui, les autres n’étant pas assez sage pour que je les laisse ainsi sans surveillance dans un lieu où il est interdit de gueuler.

Bref, et moi dans tout ce fatras, qu’est-ce que je fabrique ? Bah, rien. C’est Ciboulette qui me contrôle, et qui lit tout et n’importe quoi à travers mes pupilles illuminées du orange de sa possession. Il m’a dit que ça pourrait être utile, j’avais rien à faire après la chasse, alors j’ai dit oui. Sauf que jusqu’ici… Il s’est contenté de vadrouiller dans les rayons au hasard, prendre un bouquin par-ci par-là, en lire la préface et une ou deux pages au hasard, puis le reposer.

— Tiens, les romans de madame Louest, marmonna-t-il en ricanant.

Mais qu’est-ce qu’il raconte ? Pourquoi y’aurait le nom de mes copines sur des livres ? Bah, je cherche pas à comprendre. En tout cas, c’est toujours pas ce qu’il cherchait, puisqu’il le repose déjà et change carrément de rayon.

— Science-fiction… Fantaisie… Thriller… à croire que cette bibliothèque n’a que du rêve, et rien de concret… Revue scientifiques ? Hum… pourquoi pas. L’apologie du dresseur…

Nouveau soupir. C’est à se demander ce qu’il cherche, le Ciboulette ! Au début, j’essayais de l’écouter, mais à force de l’entendre marmonner pour lui-même, j’ai compris qu’il cherchait pas à me parler. C’est juste une façon de réfléchir pour lui-même, vu que s’il réfléchit dans sa tête moi je l’entends et j’y réponds aussi. Bref, je ferais aussi bien de faire une pause moi, si c’est pour assister à ça.

C’est alors que quelqu’un m’interpelle par mon nom. Ici ? Eh beh, ça risque d’être une double surprise, qui dans mes connaissance est du genre à lire des bouquins ?
Cédant toujours la place à Ciboulette, je me contente d’assister à la scène tandis qu’il repose un livre pris au hasard sur l’étagère avant de tourner la tête vers cette étrangère. Moi, j’ai reconnu la blouse au premier coup d’œil ! Faut dire que j’en connais pas beaucoup des vrais scientifiques à blouse ! Ciboulette, par contre, il ne la replace pas du tout la madame. Alors il se contente d’une blague, comme il le fait si bien, avant de s’incliner respectueusement :

— En chair et en os !

Ben voyons ! C’est comme ça qu’il sous-entend que l’esprit n’y est pas ? Rooh, c’est méchant Ciboulette, elle va pas comprendre la madame ! Quoi que… C’est une grande scientifique, alors peut-être que si ! Entre ça, la gestuelle et nos phrasés si différent, qui sait ?
En tout cas, cette fois, je m’exilerai pas au fond de mon esprit. Du moins, pas tant que j’entends rien de désagréable.

Ciboulette détaille la dame de haut en bas avec amusement. Ça doit faire bizarre d’être fixé par des yeux brillants comme ça alors qu’elle me pose juste des questions normales. Surtout que Ciboulette, il a toujours ce petit sourire en coin sur mon visage !

— À en juger par votre tenue, peut-être le même genre d’ouvrages que vous ? Voilà des mois que certaines questions me tourmentent, peut-être d’autres se les seront-ils posées avant moi avant d’en transcrire une réponse sur quelques pages vierges.

Quelles questions ? Apparemment, on verra ça selon si la madame est intéressée ou pas. En attendant, il plisse le regard puis lève une main pour la pointer du doigt, fouillant la mémoire et m’interrogeant au passage pour poser un nom sur la dame. J’en ai un de nom, moi ! Mais je crois pas qu’il lui suffise, vu qu’il continue à hésiter :

— Madame… Madame… Hahaha, navré. Il n’y a qu’un "Madame la professeure" qui me vienne, pourriez-vous me rappeler votre nom ?

Rooh, désolé Ciboulette ! Il hausse les épaules le temps d’un petit rire, nullement froissé par ma bêtise. Pourtant je suis presque certaine qu’elle me l’avait dit, mais c’est juste ça que j’ai retenu. Faut dire qu’elle était mouvementée notre dernière rencontre ! On avait pas eu le temps de s’ennuyer, entre les bêtises de Fouifi et les conseils de la madame !
Quoi qu’il en soit, Ciboulette se montre courtois, comme il le fait souvent, sauf avec les gens qu’il trouve amusant à enquiquiner. En revanche, à aucun moment il ne cherche à m’imiter. C’est marrant d’ailleurs, j’aurais cru qu’il jouerait le jeu plus souvent, ne serait-ce que pour s’amuser à faire tourner en Bourrinos certains de mes amis. Avec Krystal, par exemple ! Jamais il m’a demandé à prendre la place juste pour faire semblant quelques minutes et voir si elle s’en rend compte ! Nan, à chaque fois, si je lui laisse la place il fait à sa façon. Et en même temps, c’est rassurant ! Il essaye pas de me remplacer, on est genre… Complémentaires ! C’est ça, hein ? C’est trop cool !

Oh, tiens, un faux sourire ! Je dirais bien que ça faisait longtemps, mais ça serait faux, hélas. Peu importe : au moins, elle se montre respectueuse elle aussi, tel un miroir de Ciboulette, et nous redonne son nom. Alice Toare ! Faut que je le retienne cette fois. Enfin Toare, c’est un peu compliqué, mais Alice c’est facile à retenir ça. C’est marrant d’ailleurs, vu que j’ai pas besoin d’agir, je peux réfléchir à plein de trucs comme ça pendant que Ciboulette s’occuper de hocher la tête et sourire à la proposition de la dame.

— Potentiellement, j’admets qu’une aide comme la vôtre ne serait point de refus ! Auriez-vous quelque connaissance en… Comment nommer cela ? Ce n’est point de la psychologie… du spirituel ? Bref, j’ignore la façon dont la science classifie cela. Je m’intéresse aux âmes, et ce qu’on nommerait le post-mortem, auriez-vous quelques notions ou avis sur ce thème ?

En voilà un sujet qui n’aide pas à mettre en confiance ! Je suis donc une kedalienne dans une bibliothèque qui s’intéresse à la mort. Tout va bien se passer, c’est sûr ! Heureusement que je fais confiance à Ciboulette, et qu’il a l’air suffisamment à l’aise pour ne pas donner l’impression d’être en train de préparer un coup fourré, sinon la dame pourrait partir en courant et appeler la maréchaussée !

De son côté, elle s’est intéressée à mes Pokémon qu’elle a déjà rencontrés. Enfin, surtout Fouifi. Une rencontre musclée, pour ainsi dire ! Truc, lui, était planqué sous un banc tout le long, je sais même pas si elle l’avait remarqué le jour-même. Pas étonnant qu’elle soit troublée à les voir ainsi, autant qu’en me voyant possédée.
Ciboulette ricane à sa dernière remarque, clairement amusé par le malentendu. Va-t-il s’en défaire ? hmm… Pas tout de suite, apparemment ! Il se contente d’un sourire taquin, plongeant son regard dans celui de la scientifique pour essayer d’y lire ce qu’une telle réponse pourrait lui inspirer.

— Que voulez-vous ? Les habitants de Kedal sont plein de surprises !

Il porte ensuite ma main sur la tête de Fouifi et lui gratouille le crâne avant d’expliquer :

— Ces deux-là ont subi le même sort, pour des raisons différentes. Truc s’est jeté devant le fusil tel un idiot au moment du tir, rien de bien exceptionnel, et il s’en est bien remis. En revanche Fouifi a été arrêtée d’une balle récemment alors qu’elle maltraitait les Pokémon d’un autre dresseur et s’apprêtait à les achever. Vous aviez déjà constaté son tempérament, disons… agressif, pour ne pas dire plus. Cela ne s’est guère arrangé avec le temps et diverses expériences plus ou moins traumatisantes. Mais rassurez-vous… Ou pas, d’ailleurs : elle s’en remettra.

Après que Gabriel ait tenté de la convaincre, Fouifi est devenue moins dangereuse envers moi, mais plus encore envers les autres. Jusqu’au jour où elle s’est remise à m’attaquer. Bref, cette blessure par balle n’a rien d’une solution, c’est un calmant temporaire. J’ignore ce qui en ressortira le jour où elle s’éveillera. Et pourtant, je n’ai rien faire pour y remédier, pour l’instant. Rien, pas même d’aller au centre Pokémon pour lui retrouver une pokeball. Je me dis que ce serait une double trahison de profiter de sa faiblesse.
En voyant la scientifique s’approcher, Truc détache sa tête du ventre de la Fouinette et commence à la renifler, sans aucune crainte. Il semble la reconnaître, sans pour autant se souvenir de ce jour précisément.

Eh bah madame ? Je pensais pas qu’on la rendrait toute triste ! Elle avait l’air plutôt costaud au contraire la dernière fois. Faut croire qu’elle aussi, elle a beaucoup changé !
Ciboulette la regarde sans rien dire tandis que la dame cherche à se reprendre. Se moquer des vantards ça lui plait, par contre les gens tristes… c’est moins drôle pour lui. Sauf quand c’était des vantards et qu’ils sont tristes par sa faute.
Je vois pas du tout de quoi elle parle quand il s’agit de trouver d’autres voies ! Enfin, pour Fouifi si, mais pour elle… elle était méchante aussi ? Peut-être qu’elle aussi a fait des bêtises comme Fouifi et qu’elle essaye de se rattraper, ça doit être ça qui la rend triste !

— C’est tout à votre honneur, répond-il au non-jugement de la scientifique, et cela vous évitera bon nombre de maux de tête.

Il ricane en disant cela, gardant le mystère entier sur notre dissociation mentale. Quel coquin il fait aujourd’hui ! Tout ça en restant sérieux, puisqu’il garde l’esprit focalisé sur ses recherches du jour. Et en même temps, il a raison : je me souviens encore du jour où j’ai voulu tout expliquer à Sören, j’ai eu l’impression de casser son cerveau avant de le faire fondre en larmes d’un seul coup tant c’est compliqué tout ça.

Ciboulette se frotte le menton à l’écoute des explications de la dame. Il semble intrigué par son rapprochement de tout ça avec les fossiles. C’est vrai ça ! Si on ressuscite un fossile, est-ce qu’on ramène son âme avec ? Ça veut dire qu’elle était bloquée ? Ou elle est revenue du monde des morts ? C’est trop bizarre comme idée !

Mais avant toute question de notre part, voilà qu’elle invoque deux de ses compagnons pour jouer les collecteurs de revues. Intéressant !

— Voilà d’étonnants collaborateurs ! Qui m’ont aussi l’air rudement efficace.

Ciboulette observe les Pokémon qui s’activent, cherchant bien mieux qu’il ne l’aurait fait au travers des rayons de la bibliothèque tout ce qui pourrait nous intéresser. Truc les regarde s'agiter sans comprendre, bien loin des préoccupations de ces machines. Pour sa part, Ciboulette attend et reporte plutôt son attention sur la scientifique.

— C’est amusant que l’idée des fossiles vous soit venue à l’esprit. C’est assez proche de mon problème initial. Une situation inverse, même, qui pose la question du lien entre l’âme et l’être. De mes modestes connaissances, chaque créature trépassée laisse s’échapper son âme afin de rejoindre une potentielle après-vie, ou errer sur cette terre sous une autre forme, spectrale ou autre.

Jusque-là, on est dans son domaine de Pitrouille. Eux guettent de récentes victimes pour guider leur âme de ce monde au suivant. La suite, en revanche, est hors de ses connaissances.

— Si cette âme peut retrouver son corps d’antan à la résurrection d’un fossile, c’est qu’elle était coincée parmi les ossements de son être… ou qu’une machine liant notre monde à l’après-vie a été créée. Néanmoins, je ne serais guère surpris que cette machine utilise en réalité une âme errante, ou encore ait arraché l’âme d’une créature encore vivante. Ou plus simple, que ces créatures en soient dépourvues, ce qui pose en question la possibilité d’une vie dénuée d’âme.

Malgré ses maigres connaissances du sujet, Ciboulette explore cette possibilité pour lentement guider la réflexion de madame Toare vers d’autres idées, tout en s’informant au maximum.
Lorsque les deux robots passent à proximité de lui, Ciboulette s’empare d’un des livres au hasard pour en lire le titre. "La mort", tout simplement. Certains ne se foulent pas. Espérons que le contenu soit plus explicite !
Petit survol de la préface, à une vitesse hallucinante par rapport à ce dont je serais capable de mon presqu’illettrisme. C’est fou de lire comme ça, genre presque comme si quelqu’un lui parlait !
Hélas, le volume semble être plus accès sur les phénomènes biologiques qu’autre chose. Non pas que j’y comprenne grand-chose, mais Ciboulette s’en détourne après avoir survolé une table des matières des plus effrayantes pour les non-initiés. Ça existe tous ces mots avec plein de lettres, sérieux ?!

Ciboulette comprend mieux le rapprochement lorsque la dame explique son boulot actuel. Moi pas, mais c’est pas bien grave, c’est pas comme si j’allais avoir besoin d’intervenir ! Les deux adultes réfléchissent ensemble, élaborent leurs théories.
Mon corps hoche la tête de temps à autre, comme si j’étais intéressée par tout cela alors qu’intérieurement, je ne suis prise que d’une profonde envie de bailler. Je comprends pas vraiment l’intérêt de Ciboulette pour tout ça, mais je vais pas le priver de chercher des trucs importants ! Pasque c’est forcément important s’il veut savoir.

Pas de réponse de Ciboulette, il laisse les questions s’enchainer sans réagir, préférant ne pas interrompre une scientifique en pleine réflexion. Du moins, jusqu’à ce qu’elle ne cherche à relier tout cela avec la personne que je suis. Un lien difficile à faire, en effet ! Après un rire satisfait, il réplique d’une légèreté douteuse aux vues de la gravité de ses propos :

— Pure curiosité, suite à un évènement récent. J’ai assisté à la mort de nombreux êtres, et une incohérence s’est glissée pour certains d’entre eux.

Je pointe mes propres yeux, sous-entendant une capacité que semblerait me procurer leur brillance :

— J’ai perçu l’âme de chacun d’eux, à quelques exceptions qui me troublent particulièrement. Et je ne parle pas d’âme égarée, ou d’âme refusant de quitter leur enveloppe corporelle. Ils étaient déjà aussi vides qu’un corps sans vie avant que celle-ci ne les quitte.

Ciboulette croise les bras, amusé d’ajouter quelques pierres à l’édifice de questions levées par la scientifique :

— Ce qui nous donne une quatrième et une cinquième possibilité aux voyages de ces entités. L’âme pourrait-elle quitter son hôte de plein gré sans que l’hôte ne soit décédé ? Ou pourrait-elle en être arrachée tandis que l’être poursuit son existence ?

Si comme Alice le suppose, l’âme a sa propre existence, non liée à l’existence d’un unique être, il serait possible de les interchanger, les implanter, les modifier. Peut-être même est-ce déjà le fonctionnement actuel de la vie, de la naissance et des renaissances de fossiles comme la scientifique l’a supposé ?

— Bien que ce ne soit pas le cas qui me préoccupe, il serait intéressant que j’assiste à la naissance d’un fossile un jour, voir si une âme errante ou captive est nécessaire au processus, ou si elle est créée artificiellement en même temps que la vie. Si je peux en voir quelque chose, bien entendu !

Il est fort probable que la machine ne laisse rien paraître aux yeux de Ciboulette. Dans tous les cas, ce serait une étape à franchir pour en savoir plus.
Ciboulette a un avantage net par rapport à la scientifique grâce à la capacité qu’il vient d’évoquer, même s’il n’exprime qu’une part infime de la réalité. Peut-être que cela fera naitre d’autres idées à cette dame de savoir ?
Il en profite également pour jeter une réponse à la marre de questions posées par la scientifique :

— Je peux également confirmer que les âmes conservent des souvenirs de leur existence après avoir quitté leur corps au moins durant un temps, et potentiellement l’éternité en cas de renaissance spectrale.

Certaines passent d’ailleurs leur temps à hurler leur dernier souvenir, si celui-ci a été particulièrement marquant. Inutile de dire que l’avènement des cavaliers a été des plus pratiques pour constater ce genre de choses… Avec toutes les âmes qu’il a pu récolter en quelques jours seulement, Ciboulette pourrait surement écrire une thèse sur cette expérience uniquement. Mais nous ne sommes pas là pour voler le boulot des scientifiques, bien évidemment. Au contraire, il aurait bien besoin de leur aide.