Saison Un

: Obscure Prophétie

En voilà une bonne réponse ! J’applaudis de mes ailettes en ricanant, mes deux faisceaux illuminant Jack par à-coup à chaque clap. Il va avoir du boulot, le Jack, pour réparer toutes ses bêtises !

La voix de Jack tire le paternel de ses sombres pensées. Il relève la tête, un triste sourire sur le visage. Ah, la génération suivante… c’est toujours une sensation étrange de laisser l’avenir entre leurs mains. Enfin, dans mon cas… je verrai aussi celle-ci le faire, puis celle d’après, et celle d’encore après, à moins qu’un malheur m’arrive. Néanmoins, j’imagine bien les sentiments de l’homme à cet instant.

Par contre, je ne m’attendais pas à ce que le gamin parte comme une flèche. L’adulte non plus, puisqu’il n’a que le temps de tendre une main avant que le malentendu n’arrive. Et voilà un Jack qui revient contre son gré, accueilli par un rire de bon cœur du paternel :

— C’est bon, Tom, laisse aller. L’petiot cheche ses choses chez toi !

D’ailleurs, l’adulte décide qu’il n’est plus la peine de rester enfermés. Il se relève à son tour et les invite à ressortir pour profiter des lueurs de la lune, des étoiles et du feu dont les braises chauffent encore les restes de viande.
Au-dehors, abandonné de tous, le dernier survivant de l’apocalypse du sommeil a fini la seconde assiette de Jack. C’est à se demander comment il a trainé son ventre dodu bien arrondis de ses pattes-avant jusqu’à sa camarade Ecremeuh. Elle et les autres Pokémon sont encore plongés dans une bonne nuit de sommeil forcé. Suivant l’exemple de ses pairs, Truc a bien tenté de faire cette chose dont même des jeunes comme lui semblaient capables, hélas, aucun arome guérisseur ne s’échappe de son pelage feuillu.
Du coup, bloqué qu’il est, le petit daim. Loin de s’en formaliser, il s’installe aussi confortablement que son gros bide le lui permette puis reprend la seconde imitation de ses pairs, celle qu’il parvient à faire : siffler. On pourrait entendre quelques mauvaises notes, de temps à autre. Il s’arrête, puis se reprend. Ça l’occupe, d’apprendre à siffler. C’est bien l’une des seules choses qu’il est encore capable de faire.

Tout en ressortant de chez lui, Hapo Strophe résume les grandes lignes de sa discussion avec Jack, en évitant bien entendu les sujets compromettants. Le scientifique souhaitant disparaître, ses peurs d’être démasqué, et son retour à la raison, voilà en gros ce dont il parle. Jack contera le reste à son mentor s’il le désire.

— C’t’un ‘til gaçon.

Il l’a déjà dite, celle-là. Même après tout cela, il le pense toujours. Gentil Jack, gentil Jack idiot !

Quant à moi… haha, je vais là où c’est le plus intéressant ! À la suite du faux fuyard ! Pendant tout le trajet, je reste hors de vue, telle une ombre camouflée par les ténèbres sans laisser paraître ma lueur orangée à travers le sol.
Là ! Il se dirige clairement vers cette maison ! Je le devance, m’installe derrière la porte pour le surprendre de la même façon que la première fois. Sans photo cette fois-ci, malheureusement. Sauf que… la porte ne s’ouvre pas. Meh ? Qu’ai-je raté ? Ne va-t-il pas chercher ses affaires ? Aurait-il encore menti ? Je jette un œil à travers la porte, cherchant le jeune homme. Faudra que je remonte un peu dans les airs pour finalement le repérer.

Je retourne vers lui, sans artifice, cette fois. Je suis juste curieux de voir où le jeune homme a planqué ses affaires et ce qui s’y trouve.

BIEN SÛR que je te suis, petit Jack ! Bien sûr ! C’est ici que se passe le plus intéressant, non ? Euh…  pas sûr. Ou si ? Ou non ? Je suis un peu perplexe à le voir se changer. Hmm…
OH, Et après-tout ! Ça aussi, c’est de l’art !

CHTAC ! Deux faisceaux plus lumineux que jamais illuminent Jack telle une héroïne aveuglant la foule de sa transformation, passant d’Hiro à Jack par la magie d’une seconde tenue. Heureusement qu’on est à l’intérieur d’une grange. Je ricane en jouant les projecteurs, mon orange prenant une teinte légèrement plus douce qu’à l’accoutumée pour marquer la scène.

Bref, assez ri ! La transformation est achevée, Jack est de nouveau Jack, en plus propre et plus neuf. Je l’observe se trémousser quelques instants, l’air de juger tout cela d’un œil de maître jusqu’à ce qu’il n’arrêter de tourner pour l’applaudir à tout va de mes petites ailettes. Puis, jouant les maitres d’œuvre, je m’envole à hauteur de son visage et commence à remuer quelques mèches de cheveux pour remettre tout ça en ordre.

— Pitrouille ! lui fis-je fièrement, ma tige se dressant à la verticale pour marquer le coup.

Allez, on y va, maintenant !

Eh bah, quel changement ! C’est marrant comme le fait d’être redevenu lui-même le rend à la fois plus gêné dans sa façon de parler… Et beaucoup plus assuré ! Regardez-le déblatérer tout son charabia à un pauvre paysan ! J’explose de rire. Je ne saurais dire si c’est à cause des paroles de Jack ou de la tête complètement dépassée du paternel, mais tout cela est bien trop amusant !
Ploc, je lui retombe doucement sur la tête pour l’arrêter lorsqu’il demande à voir les légendaires machines à soin de Kedal (si légendaires qu’on n’en a jamais vu la couleur), ce qui donne au paternel quelques instants pour encaisser le bordel et essayer d’y répondre.

— Eeeh, t’es ben ‘til avec le dessin, là, mais q’tu dis, c’est l’charabia pour mwé.

Même moi, il m’a largué, avec son histoire de terminaisons atrophiées et de stimuli connecté. Faut dire que je n’ai jamais côtoyé ce genre de choses… le monde du spectacle et de la médecine sont bien éloignés.

— Chai pas trop que t’dire, l’meilleur médecin ici, c’est mémé et son Ecremeuh ? Et l’a jamais fait r’marcher, on sait d’jà pas pourquoi y vit, l’tiot.

Le voilà, le matériel médical de Kedal. Une armée d’Ecremeuh. Il va déchanter, le petit Jack ! Ni machine, ni compétence. Y’a que dalle à Kedal, à part des élevages.
Ça parle, ça parle… Mais pendant ce temps, est-ce que quelqu’un a remarqué que la musique vient de s’arrêter ?
Quelle musique, me direz-vous ? Celle que sifflait Truc, évidemment ! Il vient de voir une lueur électrique des plus inquiétantes dans la nuit. Ses pupilles fixent la direction… ça se rapproche. Vite. Très vite. En un éclair.
Bramement de surprise paniqué. Le petit daim a reculé la tête par réflexe, de toute façon incapable d’éloigner autre chose de la tête aux crocs aiguisés qui le colle à présent. Il observe ce pelage jaune parcouru d’électricité d’où s’échappe un grondement des plus menaçants.

Tiens, tiens, tiens… Ne serait-ce pas la Voltali maternelle qui rentre au bercail ? Maman Strophe ne doit pas être loin. Surement qu’elle est tombée sur sa fille en chemin tandis qu’elle rentrait de sa courte mission tout juste accomplie.

— Oulà… murmure le paternel en se levant sans pour autant oser s’approcher de crainte qu’un geste brusque n’aggrave la situation.

Volti… dire qu’elle déteste Truc serait un euphémisme. Selon elle, la proie aurait dû mourir ce jour-là. C’était un sacrilège de l’avoir ramenée. Du temps perdu, de la viande perdue, et un risque inutile pour l’avenir. Volti sans sa maitresse et Truc sans la sienne, c’était certainement la pire situation possible pour ces deux-là. Si au moins Grand Dada ne pionçait pas, il aurait pu la calmer, malheureusement… D’autant que la renarde électrique a encore le sang de sa dernière victime sur les griffes et le museau.
Et en même temps, on sent qu’elle se retient. Ses crocs dévoilés menacent la gorge du petit daim, lequel reste aussi figé qu’une statue. Il ne tremble pas, ne pleure pas, ne réplique pas. La surprise est passée. À présent, il ne fait qu’attendre.

Hahaha, même moi je n’ai pas le droit à ce traitement-là ! Et pourtant, je suis parmi les déchets du village, dans la tête de Volti. Surement qu’elle m’ignorera tant que je ne la dérangerai pas. En tout cas, ce n’est pas moi qui me mêlerais d’un truc pareil !
La renarde électrique ignore les paroles du médecin, trop occupée à fusiller du regard celui qui a osé s’introduire sur son territoire. Celui qu’elle aurait dû égorger à la première occasion, avant que la petite ne s’y attache. Celui qui causera sa perte, sans aucun doute. Pourquoi ? L’exemple en image, dès maintenant.

Un bras s’interpose. La renarde recule sa tête d’un coup, jappant d’un air menaçant en direction de celui qui ose l’empêcher de faire ce qui doit être fait. Elle se dresse, verticale et son museau penché en direction du soigneur pour humer son parfum étranger. Ses grondements reprennent de plus bel : elle reconnait une odeur récente, déjà perçue ces derniers jours par-ci par-là, mais empreinte d’effluves étrangères. L’humain n’avait pas cette tête la dernière fois qu’elle l’a entraperçu. Ses pupilles pivotent un instant vers les adultes non loin de là. Le père de Kata lui fait signe de rester calme. Pas de menace vis-à-vis de cet étranger ? Soit.

J’observe tout cela, pris de frisson dû au suspense de la situation. Tapera-t-elle ? Tapera-t-elle pas ? N’importe qui connaissant un peu Volti sait que Jack ne risque rien. Du moins, rien de plus qu’un petit choc.

Sauf que ce n’est pas Volti, qui va frapper. J’assiste au chaos puis explose de rire tandis que les dents du petit daim se referment avec force sur le bras de son bienfaiteur pour le repousser. Dans la seconde, la renarde déchaine un tonnerre sur le Vivaldaim qui l’assomme et lui fait lâcher prise.

La Voltali balance un regard empli de reproches à celui qui jouait les héros l’instant d’avant, puis jappe sa colère avant de s’asseoir dans l’herbe.
Silence. Peut-être pas de Jack, mais de celui qui l’intéressait. La renarde tourne la tête vers le paternel, rejappe exactement les mêmes intonations. Toujours rien. Cette fois, la Voltali délaisse le scientifique et s’avance de quelques pas jusqu’à l’adulte visiblement désemparé. L’humain chuchote quelques paroles auxquels la Pokémon réagit sans la moindre retenue. L’échange s’achève d’un cracha de colère, tandis que la renarde se désintéresse de tout ce monde pour aller grignoter quelques restes de l’Afflamanoir encore chaud.

Je sais : j’ai tout entendu, je pourrais traduire. Mais c’est bien plus drôle de laisser ces humains galérer entre eux, n’est-ce pas ? Le paternel se rapproche de Jack en massant l’arrière de son crâne d’un air gêné.

— Padon. Pas jouasse, la Volti. Faut Truc qui ramène chez Jojo.

Le pauvre daim parait aussi endormi que les victimes de ma mise en scène, à présent. À la différence près que lui, il est évanoui. Rien de grave : la gardienne du village sait jauger sa force.
Hey là, monsieur le ranger ! On n’aurait pas oublié quelque chose ? Alors moi, on traduit ce que j’raconte même si je n’en ai pas envie, et la renarde, là, elle n’a pas droit à sa traduction ? Non, non, non… Pas question. Je m’interpose entre le daim et l’adulte, éblouissant monsieur Strophe de mes lampions. Celui-ci détourne le regard et abandonne l’idée de soulever l’animal avant de pousser un profond soupire.

— J’vois qu’rien s’cache, à lui. ‘lons bon…

Il se passe une main sur le front avant de reprendre :

— C’que t’as fait, c’est pour ça Volti tuerait Truc. Kata qu’elle protège. Protéger Truc, c’est l’risque pour Kata d’faire comme ti, s’donner pour Truc. L’est danger not’ métier.

Je ricane, à nouveau. Petit Jack, petit Jack… ça va surement t’énerver, tout ça, non ? L’idée d’éliminer quelqu’un pour en protéger un autre. Mais les faits sont là : Kata trimballe Truc partout, Split s’est déjà risqué une fois dans une situation dangereuse pour venir en aide à l’handicapé, qui lui ne fera jamais rien en retour. Qui sait quand la fois de trop surviendra pour Kata ?

— Surtout si l’Truc veut l’mort, finit-il par ajouter en devinant au loin les oreilles insatisfaites de la renarde qui s’agitent.

Après-tout, qu’est-ce qui pourrait justifier son geste autre qu’une envie de mettre fin à ses jours ? Tout le monde sait ce qu’il advient des Pokémon s’en prenant aux humains en la présence de la renarde électrique.

Arrêtez de vouloir sauver ce qui est déjà perdu. J’en ai assez. Peut-être devrais-je le faire, un jour, pour qu’ils comprennent ? D’achever ce corps sans vie. Qu’ils voient la différence, ces idiots. Qu’ils comprennent que si je voulais m’en débarrasser, ce serait fait depuis des lustres. Ce n’est pas Jack que j’aurais mordu, c’est elle directement !

Et elle. Parlons-en, de la Volti ! Soi-disant qu’il m’est impossible de rester avec Kata à cause d’elle. Et là, je me retrouve quasiment seul à seul avec elle, et il ne m’arrive rien ? Certes, je suis dans les vapes, et j’ai l’impression de m’être fait fusiller une seconde fois… Mais je le sens bien qu’à part mes nerfs brusqués par les restes du choc électrique, tout va bien.

Pourtant, on me l’interdit toujours. Je le sens, le monsieur Strophe, tandis qu’il me soulève de ses bras solides pour m’éloigner tant que possible de cette furie et de Kata. Je n’ai pas envie. Jojo est gentil, j’apprends plein de choses en sa compagnie, et j’adore passer du temps avec le reste des Vivaldaim, apprendre à siffler, sentir leurs arômes… mais pourquoi y suis-je contraint ?

Je suis mort. Le jour où cette balle m’a traversée, la vie m’a été arrachée.
J’essaye de discuter avec un être qui me semble vivre quelque chose de similaire, Kata me recouvre aussitôt de sa personne pour m’en empêcher.
Je rampe quelques mètres en direction d’un autre Pokémon, on s’empresse de me ramener entre des bras humains.
J’arrive au lieu de vie de celle censée être ma dresseuse, on m’enferme alors derrière les barrières closes d’un autre élevage.
Je tente de retrouver un sentiment de liberté en m’essayant à la nage, une folle musclée m’y arrache.
Même aujourd’hui, alors que je pensais que cet étrange humain aux cheveux changeant avait compris un brin de ma personnalité, sitôt que l’occasion s’est présentée, il s’est interposé entre la vie et moi.
Et le pire, dans cela ? C’est de les voir risquer la leur, bêtement, pour me priver de la mienne. Les voir s’étendre bras ouverts en face du danger quand moi, je ne réclame qu’à l’affronter, quitte à y finir s’il le faut, tant que cela m’aura permis de m’agripper à cette vie quelques instants. J’aimerais accomplir quelque chose. Ou tenter de l’accomplir. J’en ai assez d’être un sac à dos de quinze kilos.

Il ne me reste rien, depuis ce jour. Rien d’autre qu’une existence passive, inutile, dans laquelle l’unique plaisir qu’il me reste est de me remplir la panse. Et encore, ça aussi, y’en a qui se font un plaisir de me l’interdire sitôt qu’ils me voient m’approcher d’un morceau de viande.
Même les petits daims de chez Jojo ont vécu plus de choses que moi. Même eux, ils ont vécu cette expérience qui me fait tant défaut pendant que l’éleveur me garde auprès de lui, enrobé de cette sécurité horripilante. Ils jouent entre eux, s’amusent, se chamaillent, s’aiment, se battent… Je n’ai rien le droit de vivre. Parce que je n’ai plus de vie.
Survivre, ce n’est pas vivre. C’est aussi simple que ça.

Mes paupières battent, une dernière étincelle chatouillant mon visage avant que la paralysie ne se dissipe enfin. J’entends les humains qui discutent, le timbre du jeune étant devenu bien sombre depuis notre altercation. Après m’avoir placé sur son épaule façon sac à patates, le ranger se rapproche de l’enfant avec calme, l’attrape par l’épaule et le rapproche avec douceur pour l’enlacer de son bras libre, offrant un peu de chaleur à celui qui semble se sentir si seul à nouveau.

— Personne te d’mande d’tout réussir, petiot. Tu fais l’mieux toi peut, même plus.

Bien vite, une lumière s’immisce entre les deux hommes. Ciboulette, fidèle à lui-même, réclame de participer au câlin de groupe ! Le voilà entre les joues du garçonnet et le torse de l’adulte, agitant ses ailettes pour caresser le visage de l’enfant tandis que ses petites dents pointues se dévoilent à son sourire.

— D’nos métiers, on sauve les gens. Sauf parfois non. C’est là qu’faut l’travail plus encore. T’jours essayer, t’jours tout c’qu’on peut. Ça, l’plus important.

J’entrouvre mes yeux endoloris, posant un regard envieux sur Jack malgré ma tête à l’envers, en arrière du dos de monsieur Strophe. Je sais ce qu’il pense de moi, monsieur Strophe. Lui et sa femme, ils sont comme Volti, jugent sur ce que j’ai fait autrefois en me prenant cette balle. Même Ciboulette doit y croire, après ces racontars. Y’a personne pour me comprendre. D’ailleurs, y’a personne qui me regarde, en cet instant. Tous s’attèlent à remonter le moral du pauvre Jack. Le boulet sans fleur, ils s’en fichent, tant qu’il est en sécurité pour le soi-disant bonheur de Kata.

J’vous ai manqué ? Désolé pour cette courte interruption du programme !

C’est l’émotion, voyez-vous ! Rien ne vaut un dénouement chaleureux après un bon fou rire ! Vous savez : ce moment où le piège est révélé et que la victime se sent soulagée. Tant d’émotions en cet instant ! La colère qui s’éteint, laissant place au soulagement… tant d’émotions que je me fais un plaisir de lire sur le visage de ceux-ci, à défaut de les vivre.


Le paternel a fini par lâcher sa proie à la demande de cette dernière. Ah ça, c’est pas Kata le petiot ! Elle, tu peux l’écraser de toute tes forces, elle continue à rire de bonheur ! les rires reprennent place, d’abord celui de monsieur Dessavoi, puis celui de monsieur Strophe. Au moins, ils retrouvaient leur bonne humeur un par un. Jack semble même vivre un regain de confiance ! Ce à quoi l’adulte répond :

— J’doute pas un seul temps !

Moi ? J’en doute davantage. Le petit a de nombreux démon à faire taire, on dirait ! Certaines de ses réactions sont… très subites. Prenons l’idée de s’être déguisé, pour rester sur la plus évidente. La route sera longue avant qu’il n’en soit vraiment débarrassé, en imaginant que ce soit réalisable !

— J’pense ben qu’j’va vous laisser, oui. Tom et toi d’vez ‘voir plein à dire ‘si. Faudra ben une bonne nuit ‘près tout ça !

Il se retourne, jetant un œil en direction de chez Jojo tandis que Jack adresse quelques aurevoirs à l’intention du daim. Aurevoir ? Hum, celui-ci ne l’a pas compris de cette façon, on dirait. Le voilà qui pousse de toutes ses forces sur ses pattes-avant pour s’échapper des bras du paternel et se jeter sur Jack, littéralement, en poussant l’un de ses fameuses brames emplies de hâte !

Oups. On dirait qu’il vient de le prendre au mot. Voilà, il ramène ses fesses jusqu’à lui. D’un bond, malgré son handicap.
L’est compliqué, le petit daim. Un coup il râle, ensuite il vous mord, puis il vous saute dans les bras, c’est à n’y rien comprendre ! Quoi qu’il en soit, on dirait qu’il ne garde aucune rancœur contre le jeune homme. Ni aucune leçon de la fragilité du pauvre humain.

Je m’interpose. Le daim me traverse, son regard se perd parmi les lueurs orangées de mon corps. Lorsqu’il atteint le pauvre Bivouacien, l’halloween a fait son œuvre et le daim traverse Jack sans aucune peine. J’explose de rire en voyant le daim aussi désemparé que doit l’être le jeune homme (et l’adulte dans mon dos). Revoilà le daim volant ! Ce que Truc aime tant dans la mort, la liberté. Il hurle de joie, bien trop heureux de pouvoir s’élancer de gauche à droite sous sa forme spectrale sans qu’aucune limite terrestre ne l’handicape.

Monsieur Strophe se passe une main dans sa tignasse rousse, perplexe. Comment récupérer le daim, maintenant ? Rien qu’à voir le regard furibond que Volti lui balance, le daim n’a pas intérêt d’essayer de passer la nuit ici… Il semble en avoir conscience, puisqu’il revient.

Malgré son bonheur de ressentir une nouvelle fois le soulagement de la mort, il n’a pas oublié la proposition du jeune homme. Il sait que ce phénomène est temporaire, et Ciboulette lui a déjà fait comprendre qu’il n’aimait pas partager. Il n’y a qu’en de rares occasions, comme celle-ci, qu’il pourra en bénéficier. Alors… il suivra le jeune homme dans l'attente que cette proposition de baignade soit appliquée.

— Truc, c’pas l’temps d’aller baigner !

Le daim tire la langue. Haha ! Aucun humain ne peut s’en prendre à lui, sous cette apparence ! C’est hilarant de voir l’effet de ma capacité sur ce petit être. Il redevient l’enfant qu’il devrait être. Regardez-le tourner autour de Jack, heureux comme une certaine Feuforêve autour de son écrivaine préférée. Après un long soupir, l’adulte se résigne à faire la proposition qui s’impose en l’absence de Kata :

— Penses-tu qu’tu peux l’garder c’te nuit ?

Après-tout, qu’il soit chez Jojo ou Jack, peu importe tant que Kata le retrouve à son retour. D’ailleurs, j’en connais un autre qui squatterait bien chez sa victime préférée ! Sauf que moi, je demande pas, je m’impose. Je tapote l’épaule du jeune médecin avant de lui offrir un large sourire, ma tige dressée façon doigt levée pour lui assurer que tout ira bien : il n’aura même pas à porter le daim, puisque je serais là !