Saison Un

: Obscure Prophétie

Mes pupilles brillent d’amusement devant l’abandon souriant du jeune scientifique. Le voilà condamné à supporter deux fantômes pour la nuit ! Enfin… le premier ne le restera pas longtemps, quant au second, ne croyez-pas que j’aurais la patience d’attendre toute une nuit durant à supporter des ronflements, pas plus qu’avec Kata. Ces humains et leur besoin de dormir… Quelle faiblesse !

Tout le monde embarque ! Le paternel salue son ami avec le même entrain que lui, et Jack d’une poignée de main. Quant à Volti, elle nous observe de loin, de son regard houleux auquel il vaut mieux ne pas se frotter. Jack n’a pas gagné des points vis-à-vis d’elle en acceptant cette proposition, mais soit. Tant que le petit daim n’est plus sur ses terres…

Quant à moi, je hausse les épaules, les remontrances coulant sur ma citrouille avec indifférence.

— Pitrouuuuille, ai-je murmuré avant un clin d’œil.

Qu’est-ce qu’il raconte, le petit Jack ? Tout le monde s’est régalé avec ce fromage, ma petite touche personnelle ne l’a que sublimé en ajoutant quelques fantaisies sur un goût déjà exquis !

Bref, nous voici sur une nouvelle scène, où j’ai d’ailleurs oublié de faire ma fameuse blague de la porte ! Devant nous, une pièce aussi modeste que la demeure de Kata, une drôle d’anémone caillouteuse et un chat classieux à s’en faire mal aux yeux. Ah, et un lit aussi. En sale état. On dirait qu’une joute de Tauros s’est jouée en ces lieux ! Et le gamin dort là-dedans ? Eh beh…

Un sourire narquois me prend en entendant Jack parler de bain. Pour promettre de ne pas faire de bêtise, le mieux serait encore que je reste à portée d’yeux, non ? C’est tellement tentant… Les humains sont si amusants, avec leur pudeur ! Je suis presque certain que celui-ci couinerait comme une fillette si je traversais là-maintenant le mur pour lui balancer mes phares au visage !

Malheureusement, d’autres évènements vont retenir mon attention et empêcher cette petite blague du jour. Peut-être demain ? Qui sait ! Et puis au final, je l’ai déjà vu se changer aujourd’hui, une blague répétée en est d’autant moins amusante.
Alors que la féline nous interroge de toute sa grâce, Truc ruine le ridicule espoir que nous avions de faire bonne impression. En effet, le sortilège spectral s’achève tandis que le jeunot persistait à voleter dans tous les sens, bien décidé à profiter de son bonheur jusqu’à la dernière seconde. Résultat ? Chute immédiate du petit daim direction l’étagère la plus proche. Le Vivaldaim s’écrase contre les tiroirs et débaroule jusqu’au sol dans une position digne de sa décadence.
Je m’esclaffe sans retenue, nullement inquiet d’avoir vu l’idiot s’assommer à moitié en retrouvant son enveloppe corporelle.

— Pi, pitrouuuuille, pi, trouille.


Ceci étant dit, je m’incline d’une révérence flottée devant la demoiselle en ajoutant :

— Pitrouille, troupi, trouill, pi. Pi, pitrouille ?


De son côté, le daim redevenu vivant semble peu intéressé par la discussion. Il prend le temps de retrouver ses esprits, fouillant la pièce du regard comme s’il y cherchait la magie qui s’est échappée de son corps. Il brame dans ma direction sitôt qu’il me repère, ce que j’ignore avec splendeur : non mon petit, l’halloween, c’est un art destinée aux plus grandes œuvres, pas aux caprices d’un petit daim.

— Pi. Pitrouille ?~


Évidemment qu'il y a de l'ironie là-dedans, surtout en le connaissant. Si je ne suis guère surpris de voir qu'il n'a pas été réclamer réparation au propriétaire, je doute qu'il soit à l'origine de cette destruction. L'enfant semble soigneux, et je devine que ces charmantes demoiselles le sont tout autant. Et les deux autres sont trop minuscules pour provoquer cela.

Haha ! De sacrés phénomènes, ces deux-là. D’abord Luna, la frigide de service, puis Anémone, la… machine ? J’ignore quelle autre appellation lui siérait davantage.
La discussion n’intéresse toujours pas ce cher Truc, et ne parlons pas de l’idiot qui essaye d’attirer son attention. La lueur de joie s’est éteinte dans les pupilles du jeune cervidé. Abattu par la disparition de son bonheur, il commence à se trainer de ses pattes-avant au moment où l’étrange plante lui attrape une patte de ses tentacules. Il râle, tente d’agiter des muscles qu’il ne contrôle plus. Finalement, lorsqu’il retrouve sa liberté, il grommelle et rampe avec lenteur jusqu’à la couverture offerte par le jeune humain. C’est ainsi que sans un regard pour qui que ce soit (y compris moi, vilain profiteur ingrat), le Vivladaim se laisse tomber sur le côté et ferme les yeux, prêt à attendre que le temps s’écoule jusqu’au prochain point qu’il juge pertinent de sa vie.

Pour ma part, loin d’être vexé, cela m’amuse, tout comme la relation que semblent entretenir les camarades de Jack. Je les imagine, se chicanant jour et nuit avec le jeune humain entre elles pour essayer de les réconcilier… délicieux !

— Pitrouuille !~


Quelque chose d’intéressant. Comment faire réagir ces deux créatures ? Hum. Reparler du lit ? Non, il semblerait que le silence se fasse là-dessus. Encore que, je pourrais surement questionner la machine pour en apprendre davantage, et surement qu’elle ajouterait une équation mathématique en guise de piste pour mon questionnement. Ennuyeux, bien trop ennuyeux ! Alors qu’il y a tant à faire en cet instant.

— Pi, pi, trouille. Pi, Pitrouille ?


Piquera, piquera pas ? Qui sait ? J’attends sa réponse, curieux, cherchant à me faire une idée de sa personne.

Après cela, je m’intéresse à sa camarade. Pour elle, j’ai autre idée en tête. Quelque chose des plus amusants :

— Rou, rou, Pitrouille ?


Tout en discutant, je m’installe sur l’une des commodes, ma citrouille orangée se mêlant au bois du meuble. Cette partie de la soirée devrait être moins mouvementée que la première… à moins que je n’y mette mon grain de sel ? Hum, trop court. D’ici que le jeune humain ne revienne, rien d’intéressant n’aurait le temps d’être installé, autre que ce que je viens d’enclencher. Enfin… qui sait ?

Truc ignore toujours le pauvre Chovsourir malgré ses insistances. On dirait qu’il dort déjà, le bougre ! Du moins, il fait semblant : aucun ronflement n’est là pour le confirmer. Et je le connais, le daim, il est comme les autres : il ronfle. Chaque soir, la chambre est une cacophonie insupportable entre Kata et Truc. Seul Split démontre un peu de retenue, bien que je soupçonne qu’il dorme surtout d’un sommeil moins profond.

Mais dites-moi, c’est qu’elle est ravie de parler, cette chatte-là ? Ironie, bien entendu. Je ponctue sa réplique d’un clin d’œil amusé avant d’y répondre d’un simple :

— Pi, trouille.


Rien d’autre, pour le moment, si ce n’est mon petit air amusé habituel.
L’autre répond de son timbre mécanique, ajoutant une information des plus amusantes à ma collection. Un laboratoire ? Madame ne serait pas née naturellement ? Dans ce cas, il est amusant qu’elle se soit retrouvée dans les mains du garçon sans qu’il en ait vu le laboratoire. Comment se sont-ils rencontrés ?

Je n’ai pas répondu tout de suite à sa question. Du coup, une autre s’y est ajoutée. Celle-là me fait beaucoup rire, tant que je me sens obligé d’y répondre en première :

— Trouuuuille.~


C’est certainement le meilleur résumé qui soit de cette soirée. Je ne vais pas non plus tout expliquer, ces deux-là risqueraient de se mettre en colère. Ce sera bien plus drôle qu’il leur dise lui-même et qu’elles enragent de n’avoir rien fait sur le coup !
Et justement en parlant du bonhomme, le voici qui revient dans la pièce. Oh, j’ai raté la discussion entre les deux hommes ? Dommage, ça a dû être intéressant. Je le salue de mon sourire moqueur, agitant les ailettes à son intention tandis que Truc persiste à jouer les endormis. Toutefois, en l’absence de monsieur Strophe, il est peu probable que l’enfant se livre à de nouvelles discussions. À moins qu’il aime monologuer avec ses camarades, qui sait ?
Je repose mon regard sur les deux femelles :

— Pi, pi. Pitrouille.


Les projecteurs de ma citrouille s’allument pour les pointer tour à tour et marquer mes paroles de même qu’un large sourire de satisfaction. J’en sais déjà assez pour une prochaine mise en scène. Toutefois, je me sens malheureux de couvrir ce tour d’un unique protagoniste. Mes yeux reviennent sur la Miaouss, la fixent longuement… puis décident finalement de revenir sur Jack, comme dans l’attente d’une réaction de sa part.

Ce n’est pas grave. Pas important. Il ne faut pas forcer la blague si elle ne vient pas, d’autant plus avec un prétendant de cette qualité. Laissons le destin jouer pour nous, et attendons que l’œuvre se dessine d’elle-même.

MWAHAHAHA, évidemment, bien évidemment ! Je laisse mon exaltation s’exprimer aux paroles de la diva. C’est parfait, tout à fait parfait ! Qui en demanderait davantage ? Pas moi, très chère ! Mon sourire s’élargit, traversant les ténèbres de mon visage d’un orange démoniaque. Je reste ainsi, les observe se lover les uns contre les autres et s’endormir dans l’innocence de leurs bonsoirs.
Je les fixe, unique lumière parmi les ténèbres d’une nuit sombre. Quatre ronds orangés veillant sur le trio endormi. Regardez-les, ces innocents se reposant d’une dure journée. Si jeunes, si insouciants alors qu’ils côtoient déjà la mort au quotidien.

Les heures passent tandis que je demeure immobile, telle une effrayante poupée posée sur le meuble. Ce n’est qu’une fois tous leurs esprits perdus dans les limbes de cet ennui nommé "sommeil" que je me laisse tomber, lentement, disparaissant à travers la commode qui me servait d’appuie en entrainant la dernière source lumineuse. Jack et ses camarades, Truc compris, profitent enfin d’une véritable nuit. Plus personne pour les espionner. Plus personne pour les surveiller. Rien que leurs âmes, livrées à elles-mêmes. Qu’arriverait-il si un second bœuf (ou quoi que ce soit) débarquait à cet instant pour les piétiner et ravager leur petite existence ? Qui sait ? Peut-être verrai-je un jour cette histoire.

En attendant…

À un instant, la chatte était sagement installée sur son oreiller. L’instant d’après, l’halloween la plongeait vision et cauchemars dans un enfer orangé. Le temps qu’elle reprenne ses esprits, j’avais tiré son corps spectral au-dessus du toit de la bâtisse comme ces âmes que j’emmenai jusqu’à l’au-delà. Sauf qu’elle, je l’abandonnai là, à la merci des rayons lunaires, m’éloignant un peu pour la laisser libre d’apprécier l’état d’esprit et les possibilités de sa nouvelle enveloppe.
Tu ne brilles plus, à présent. Ton corps est pâle, fantomatique, presque évanouit aux yeux du monde. Comme le mien.

Je lui tourne le dos, cherchant à rivaliser d’éclat avec la lune en y jetant mes projecteurs. Les nuits de Kedal sont les plus belles qui soient. Pas une lumière ne vient troubler la quiétude de ce ciel étoilé. Chaque point lumineux peut se dévouer corps et âme à sa prestation sans craindre qu’on l’interrompe d’un épilogue prématuré.

— Pi, trouille.


Mon timbre est bien différent de celui que j’empruntais dans la chambre. La comédie s’est achevée, laissant place au registre dramatique de mon ancienne vie.

— Pit, pitrouille.


C’est tout ? On dirait. Sans me retourner, je m’éloigne de la maison des Dessavoi, laissant derrière-moi la chatte tirée de ses rêves d’une des pires façons qui soient.