Saison Un

: Obscure Prophétie

Me revoilà pour accompagner ce cher Truc à sa journée natation. Nom d’un Banshitrouye, que cela risque d’être ennuyeux ! J’espère que je trouverai de quoi m’occuper pendant que ces messieurs-dames feront leurs brasses inutiles.

Quand j’arrive, tout le monde semble déjà réveillé excepté Cupidon et Truc. Le premier ronfle fort, tandis que le second… fait clairement semblant. Il est resté immobile et sans répondre aux caresses de Jack, mais son buste cherchant une position plus confortable l’avait trahi. Feignasse. Je n’attends pas plus longtemps pour lui lancer mon Halloween et lui permettre de se déplacer au retour de Jack. Aussitôt, c’est le réveil et les cris de joie reprennent.

Le sortilège s’achève une première fois sur la table à manger de l’auberge, où le daim s’écrase sans sommation. Va falloir travailler tes atterrissage, idiot ! tout le monde s’empiffre, excepté moi bien entendu. Je goutte bien quelques mets par curiosité de goût, mais la faim me laissant aussi indifférent que le sommeil, je laisse les mortels à leurs besoins primitifs. Le daim, par contre, se goinfre comme à son habitude malgré la déprime post-Halloween.

Petit Jack. Je te lance un regard amusé, au moment où le daim s’écrase au sol. Le comprendras-tu ? Je suis là pour assister à tout cela, parce que cela m’amuse. J’aide un peu en déplaçant le daim, parce que cela me frustrerait qu’on en reste au point de départ d’un simple manque de force. Par contre… ne compte pas sur moi pour t’assister. Tu n’as pas deux bébés à t’occuper, mais trois, dont un particulièrement récalcitrant malgré les apparences.

Le repas se passe sans autre complication. Revoilà le daim volant. Bientôt, nous arrivons à destination. Sans surprise, Truc n’écoute rien lorsque le scientifique s’essaye à un semblant d’ordre, bien trop amusé par sa forme spectrale. Je suis déjà plié de rire en voyant Jack jouer les professeurs, sachant très bien ce qui va arriver. Tout le monde doit déjà l’avoir deviné. Encore quoi… vingt secondes ? Dix, peut-être ? Je compte ces secondes de petits bruits de bouche répétés.

Ah, ça y’est. Le daim volant pivote d’un coup, sentant la fin venir. Trois, deux, un… Zero. Il est au-dessus de l’eau. L’halloween se dissipe, et plouf : un daim à la mer !

Ah ça, Jack a beau avoir tout tenté pour l’éviter, c’était sûr. Et je peux même deviner ce qui va arriver au courageux qui ira le chercher des tréfonds pour le ramener de force sur la berge : il va se faire mordre la main. Comme Técla !

Je me contente d’observé, toujours amusé et sans paraître inquiet le moins du monde. Alors, petit Jack, que vas-tu faire ?
Notons que jusqu’ici, j’ai à peine posé mon regard sur la demoiselle tirée de son sommeil la veille. Une salutation respectueuse à mon arrivée, rien de plus. La plante, par contre, je l’observe régulièrement, m’amuse de la voir s’occuper des deux plus jeunes. Je ne l’ai pas oubliée, elle. Mais cela viendra plus tard. Pour le moment, c’est Jack le centre de mon intérêt.

Mwahaha, que c’est mignon ! Regardez-moi ce chaton qui a peur de se mouiller les poils ! Et ce Jack qu’on jurerait sur le bord d’exploser ! En moins de deux minutes, le daim me satisfait déjà. Finalement, ce sera une bonne journée.

D’autant qu’une seconde surprise arrive bien rapidement. Je m’attendais à voir Jack faire trempette au bord de l’eau en trainant le daim en laisse. Comment aurais-je pu deviner qu’il nageait bien, celui-là ? Heureusement que la chatte poursuit le spectacle du burlesque, c’en aurait été décevant. Eh bien ma mignonne, toujours au bord de l’eau ? Regarde, même les petits sont plus courageux que toi !

De son côté, Truc remarque un peu tard l’apparition de Jack dans le bassin. Ah non, pas encore ! Il ouvre la gueule et chope la corde dès la première touche, cherchant à se défaire de son terrible adversaire. Hélas, c’est pas avec cette mâchoire que tu parviendras à couper une corde, idiot de Vivaldaim ! Malgré la paralysie de ses pattes-arrière, il parvient à se mouvoir un peu dans l’eau. Pas assez pour se maintenir à la surface, mais suffisamment pour faire de petits bonds à la façon d’un poulpe.

Notons qu’il reste un phénomène bizarre dans cette histoire. Le fait que le daim ne semble pas paniqué à l’idée d’ouvrir la gueule dans l’eau pour mordre quelque chose. Et aussi qu’il persiste à nager après cela, comme s’il avait emmagasiné assez d’air malgré tout. Même moi, cela m’intrigue.
D’ailleurs, parlons-en de la reprise d’air. À un moment donné, Jack et Anémone remontent de force le petit daim grâce à leur mécanisme ingénieux.

— Viva, viva, viva, viva, viva !

En voilà un, un gamin pas content ! Le daim tape dans l’eau à répétition comme un enfant frustré dans son bain. Pourquoi ? Mais parce qu’il savait que ça finirait comme ça ! Si la déception est plutôt lisible sur son visage, il est moins aisé de repérer les larmes naissantes à travers l’eau du lac qui ruisselle de ses oreilles et de son front. Bien sûr qu’il l’a vue venir la corde ! C’est pour ça qu’il a plongé aussi vite et loin que possible. Encore un truc d’handicapé ! Il va finir saucissonner et ne profitera de l’eau qu’en s’y faisant trainer. Bien trop occupé à attaquer son "assistante", le daim n’a absolument pas réalisé l’autonomie que Jack cherchait à lui laisser.

Truc voudra bien d’une leçon de natation. Mais là, ça n’y ressemble pas. On le maintien à flot de force ? Soit. Ni une, ni deux, le daim plonge la tête dans l’eau et reste immobile, en apnée boudeuse.

En apnée ? Eh… Vraiment ? Il reste un mystère parmi tout cela. Jack l’a surement remarqué, à moins qu’il n’ait jugé qu’il s’agisse d’une simple illusion d’optique due à l’eau ? Le pelage herbeux du daim a viré du vert estival sur un étrange bleu marine, comme s’il s’était camouflé parmi les flots.

Oh, mais on dirait qu’il s’est aussi passé quelque chose de très amusant sur terre ? Enfin, peut-on encore dire "sur terre" quand les deux tiers des protagonistes ont rejoint le bassin…
Mon sourire s’étire. Tiens donc ? Madame réclame mon aide ? Je croyais qu’elle n’avait pas besoin de moi !
D’autant que pour le coup, je vois mal ce qu’elle attend de moi : en plus d’être un fantôme, je suis plus petit que n’importe lequel de ces deux chenapans. Je serais bien incapable de les ramener, à moins de jouer les appâts, et encore. Je n’ai guère envie de mettre cette idée saugrenue dans la tête du chiot.
En verité, il n’y a qu’une chose que je peux faire pour elle.

— Pitrouille !


Je m’approche sans geste brusque, faisant mine d’aller en direction de l’eau. Sauf qu’en arrivant à sa hauteur, je lui percute la tête de ma citrouille d’un étonnement (tout en délicatesse !), poussant la pauvre chatte dans l’eau sans lui infliger davantage de dommages qu’une belle frayeur.

— Pihihi !


Mes moqueries résonnent quelques instants, forte et bien audibles tandis que j’admire le résultat de ce chaos. Une chatte mouillée, deux petits qui dérivent en voulant rejoindre leur dresseur, et un daim cherchant l’asphyxie. Oh que oui, cette journée sera parfaite.

Blblblblblblb. Voilà à peu près ce que le daim répond aux réprimandes de Jack et Anémone. Pourtant, l’humain insiste, s’explique. Si on peut lui reconnaître une qualité, ce sera certainement sa patience. Finalement, il parvient à faire relever la tête du boudeur apprenti nageur. Le daim l’observe d’un air dépité, lâche un profond soupir. On dirait qu’il n’y échappera pas, à cette foutue corde. Ce n’est vraiment pas ce qu’il espérait en venant ici.
Néanmoins, il cède. Les paroles de ses deux professeurs ont fini par l’atteindre sur un point : les choses ne pourront que s’aggraver s’il insiste. Il risquait de finir hors de l’eau, tout simplement. Aussi, lorsque Jack redescend sous l’eau, entrainant l’apprenti à sa suite, celui-ci reste parfaitement immobile, incapable de deviner ce qu’il a le droit et l’interdiction de faire.

L’occasion pour Jack d’observer plus en détails le petit daim ?
Premier détail : le Vivaldaim a les yeux grands ouverts, nullement gêné par l’eau. Une fine couche protectrice transparente semble s’être formée autour de ses globes oculaires, lui permettant de voir ce qui l’entoure aussi aisément que sur terre.
Second détail : il ne retient pas sa respiration. Le voilà même tentant de bramer sous l’eau, ses cordes vocales faisant vibrer les flots sans qu’il paraisse expulser d’air de ses poumons.
Par ailleurs, si Jack tentait d’observer son pelage, surement qu’il y retrouverait quelques similitudes avec les Pokémon eau et plante de son lieu de naissance.
Bien que ce ne soit que l’effet d’une attaque camouflage, tout portait à croire qu’en ce lac, Truc était un poisson comme un autre.
Aux yeux du Vivaldaim, tout cela ressemble de plus en plus à la torture que Kata lui fait subir au quotidien, soi-disant pour le garder en forme… Peut-être aurait-il dû profiter du premier halloween de Ciboulette de la journée pour venir jusqu’ici seul ? Il commence à se dire qu’il ne sera jamais tranquille tant qu’il sera accompagné.


Bref, revenons-en à la surface ! Mon rire dura longtemps. De la seconde où je l’ai poussée jusqu’après ses réprimandes, redoublant d’intensité à l’entente de son timbre offusqué. Cela faisait longtemps que je n’avais pas autant ri ! Une bonne blague comme on n'en fait plus, à la fois simple, efficace, et nécessaire : après-tout, les marmots sont sauvés. C’est qu’elle sait nager, la chatte !

J’attends qu’elle se secoue, puis lui présente l’une des serviettes apportées par Jack. Maigre compensation ? Certes ! Je ne cherche pas à m’en vanter, malgré l’énorme sourire sur mon visage. Ce n’est qu’une attention de ma part.

— Pihi, trouille.


J’agite la maigre serviette que je peine déjà à porter en guise de preuve. Il m’aurait été impossible de ramener les deux jeunes de force, d’autant que je doute qu’ils se seraient laissés faire.

— Pitrouille ?


Après-tout, j’aurais pu. De la même façon que je l’ai fait pour elle la veille au soir. Je me moque en l’observant d’un regard en coin. Un petit traumatisme pour éviter une baignade, qui dit mieux ?

Bref, qu’elle me haïsse et me hurle dessus si cela lui fait plaisir, cela me laisse de marbre, avec toujours ce même air moqueur sur le visage. Rien qui m’empêcherait d’ajouter sur le ton de la bonne humeur :

— Pi, trou, Pitrouille.


Aurais-je envisagé qu’elle se noie de ma blague ? Bien sûr que non. Dans le pire des cas, elle rejoignait la berge en panique et m’obligeait à prévenir son maître de sa bêtise. Dans le meilleur… elle nageait aussi mal que le chiot et j’aurais assisté à une amusante course poursuite. Disons qu’on a atteint la neutralité en ce jour. Heureusement que la blague initiale fut aussi formidable que sa conclusion !

Enfin, Truc se montre obéissant. Ses pattes-avant battent les flots pour le diriger, d’abord vers Jack, puis dans une direction au hasard lorsqu’il sent qu’on le lui autorise. Il remarque la disparition de la corde, ainsi que les nombreux efforts du scientifique. Néanmoins, il reste modeste en termes de joie, sa frustration se substituant peu à peu à une neutralité méfiante.
Méfiance qui se retrouve chez le médecin. Loin de s’en offusquer, le daim semble en jouer, lançant des regards en coin si mitigé à l’intention du garçonnet qu’on jurerait des menaces silencieuses.

Pourtant, lorsque l’humain s’évade avec l’aisance d’un nageur expérimenté, le daim s’empresse de le suivre. Enfin, d’essayer. C’est qu’il ne nage pas vraiment, le petit, sans son arrière-train pour le propulser. Il force sur ses pattes valides, tirant l’eau à lui pour ramener un courant à lui et chercher à maintenir son altitude. Ainsi, il peut nager, un peu. Mais après nombre de brasses forcées, le daim se laisse couler, épuisé tandis que l’humain, à l’inverse, rejoint la surface.

Son corps s’étale avec douceur contre le fond du lac. Ses yeux se posent sur Anémone, laquelle participe désormais à la baignade de la même façon que lui. Est-il bloqué ? Non, il attend simplement Jack. Sitôt que l’humain replonge, Truc pousse de toutes ses forces sur ses pattes-avant. Son corps retrouve un brin d’altitude, puis il reprend ses battements pour s’y maintenir. Tout cela n’est guère pratique. Encore une fois, c’est fatigant.

L’humain présente alors ses mains. Puis sa Pokémon l’interroge. Truc se fige, perdant à nouveau de l’altitude par son hésitation. Puis il ricane, amusé, et pousse d’un coup sur ses pattes en montrant les "crocs" au petit humain. Attention ! Le terrible prédateur attaque ! Pour une fois qu’il peut réellement jouer ce rôle, Truc s’en donne à cœur joie. S’il arrive à faire peur à Jack, tant mieux ! Il le poursuivra de sa lenteur jusqu’à atteindre l’humain… ou jusqu’à s’épuiser. Et s’il n’y arrive pas ? Eh, tant pis. L’humain aura juste droit à un faux mordillement et il se laissera faire pour la partie ennuyeuse du traitement.
Depuis quand n’est-ce pas arrivé ? Lui qui a passé des semaines, des mois au fond d’un sac, à râler, manger, dormir. Depuis quand n’a-t-il pas joué comme l’enfant qu’il était ? Restait à voir si Anémone et Jack comprendraient les mimiques guillerettes sur son visage, bien différentes de la fureur avec laquelle il avait mordu la veille.

Pendant ce temps, à la surface, Madame la féline demeure aussi sèche que la serviette qu’elle m’arrache des ailettes.

— Pi ?


Mwahaha, quelle idée ! Personne ne peut rien fuir éternellement. Je m’esclaffe sans retenue devant sa résolution. Mais soit. Si c’est ainsi qu’elle se voit briller plus tard, je ne suis point celui qui l’en détournera. Je reste sans réplique, me contentant de la fixer de mes pupilles orangées pour laisser son imagination lui répondre.
Elle a beau râler et se montrer acariâtre comme la pire des divas, cette Miaouss est une bonne âme. Possible qu’elle ne le fasse que pour éviter une future réprimande, ou pour contenter son jeune maître… néanmoins, même si elle était égoïste, son attention vis-à-vis des petits a de quoi attendrir. Que ce soit leur sauvetage ou le fait qu’elle s’occupe de les sécher, la maman de ces idiots s’en occupe comme il se doit.
Je la laisse faire, sans la perturber davantage. Tout le monde a droit a des entractes dans une pièce. Ce sera la sienne. D’autant que la prochaine scène risque d’être compliquée pour elle !

Il me semble que Jack l’a précisé hier, ou était-ce monsieur Strophe ? Peu importe. Quoi qu’il en soit, ce lieu est celui où nombre de troupeaux se rassemblent au quotidien pour s’abreuver. Le premier sera celui de Jojo. Pas Jojo, l’éleveur de Vivaldaim ! Celui de Moumouton. Quelle idée ils ont eu de s’appeler pareil, ces deux-là ? Comme si un idiot avait confondu un jour et décidé d’assumer son erreur ! Voyons, personne ne ferait ça, n’est-ce pas ?

Toujours est-il qu’une dizaine de moutons se suivaient en tas compact pour s’éloigner du troupeau, bien décidés à s’abreuver en ce jour ensoleiller. S’ils n’étaient guère connus pour leur méchanceté, les Moumoutons étaient par contre très joueur, et assez encombrants. Il ne fallut pas longtemps avant que plusieurs d’entre eux ne viennent renifler avec curiosité le trio mouillé. Pour ma part, j’observe d’en hauteur, à l’abri et curieux de voir comment la chatte adulte gérera ce léger imprévu.

Mais c’est que ça a marché ? Le petit Jack s’enfuit loin, très loin des mâchoires de l'handicapé, ce qui donne encore davantage envie à ce dernier de l’atteindre. Il met un temps à réaliser que l’humain joue comme lui. S’en montre-t-il frustré ? Non. C’était amusant. Ses fausses morsures se transforment en léchouilles aquatiques, et comme prévu, il se laisse faire tandis que Jack inspecte sa blessure.

Malgré les mois, les cicatrices sont encore palpables à travers son pelage, de part et d’autre à l’arrière de son dos, la balle l’ayant traversé. Sitôt que les doigts de l’humain dépassent cette zone aisée à remarquer, le daim les perd. Il est même obligé de tourner la tête pour savoir si l’humain le touche toujours.
Par contre, lorsque l’humain s’intéresse de plus près aux jambes arrière du petit daim, il peut constater un point étonnant : si les pattes-avant du daim se sont solidement renforcées depuis son accident, ses pattes-arrière ne sont pas en reste pour autant, comme si le Vivaldaim s’en servait encore tous les jours. Quand Kata disait qu’elle s’en occupait beaucoup, elle ne rigolait pas. Pas étonnant que le daim soit aussi las des exercices, à force de les enchainer matin et soir depuis plusieurs mois !
Le plus drôle étant qu’en plus d’avoir gagné du muscle, le gourmand a aussi pris du bide, ce qui rend les efforts sur ses jambes d’autant plus importants.

L’analyse s’est passée sans encombre. Néanmoins, le petit daim est ravi de la voir s’achever lorsque l’humain remonte prendre l’air. De son côté, Truc se laisse tomber à nouveau, amusé par la sensation du sol humide sous ses pattes. Un, deux… Et hop ! D’une roulade, le voilà la tête en bas, dans un équilibre précaire pour maintenir le poids mort qui lui sert de derrière en hauteur. Dès qu’il se sent basculer vers l’avant, il tape de sa patte droite, et lorsque l’inverse arrive, il cherche à rééquilibrer la balance de sa patte gauche. Un drôle de manège qui lui prend toute son attention, si bien qu’il ne remarque ni le retour de Jack, ni Anémone contre laquelle il butte en perdant une énième fois l’équilibre, la partie mort de son corps s’écrasant mollement contre les tentacules du fossile.

— Viva !

Ou du moins, son équivalent non vocal et ricané perdu sous les fonds marins. Le daim tente tout et n’importe quoi, roulant autour de la plante avec ses pattes-avant pour seul support, bondissant parfois, jouant les équilibristes d’autres fois. Ce n’était pas aussi jouissif que d’être mort… mais c’était amusant de pouvoir bouger ainsi, même de façon chaotique.

Tout aussi amusant que les soudaines réactions maternelles de madame la diva. N’est-elle pas mignonne avec son chiot entre les crocs ? La différence de traitement entre le Ponchiot et le Chovsourir m’étonne un peu, mais soit. Il est vrai que ce cher Cucu ne risque pas grand-chose, si ce n’est se fait un peu écraser entre les tas de laines. Je suis l’autre duo en gardant de la hauteur. D’ailleurs, je ne suis pas le seul à suivre : deux des Moumoutons tournent autour du rocher en bêlant, curieux devant cette étrange chatte qu’ils n’ont jamais vue. Au regard qu’elle lance, ce n’est pas demain la veille qu’ils la verront redescendre pour jouer avec eux. De toute façon, elle est déjà occupée avec une mignonne petite boule de poils !

— Pitrouille ?


Ma question fut soudaine, après un long silence de ma part tandis que je m’étais installé moi aussi à l’abri de ce rocher. Je ne la ponctue d’aucun rictus. Ça m’arrive, parfois, de simplement discuter sans qu’une blague n’en pollue mes pensées. C’est rare, mais ça arrive.
Pour en revenir à la question, il n’est pas rare que des Pokémon sauvages fondent famille après famille avant d’être capturés. Et avec son physique exceptionnel, je devine que madame faisait courir bien des chats derrière elle. Non pas que je l’imagine accepter le moindre prétendant, mais sait-on jamais. Je la sens étrangement protectrice, inquiète, et bien d’autres émotions maternelles quand il s’agit de Jack et de cette petite chienne.

Excusez-moi. Nous parlions de physique exceptionnel ?

— Pitrouille !


Cette fois, mon rire revient. Devant-nous, une véritable toison d’or resplendit à la lumière du soleil. Le moumouton Mistral de Kedal. La fameuse bête au pelage d’or, si somptueuse qu’elle fut mise en vedette au salon de l’agriculture. Tous l'ont vue et se sont émerveillés devant tant de splendeur, lorsque la brave bête avait apporté leurs gains aux éleveurs sélectionnés.
À ses côtés, une Wattouat des plus banales échange avec lui des bêlements de bonheur. Les deux s’entendent à merveille, et aucune autre Moumouton ne semble essayer de les séparer pour s’approprier la fierté du troupeau.

Ils arrivent à notre hauteur. Le Moumouton doré se fige, jetant un regard mauvais à la troupe étrangère. Si les Kedaliens sont connus pour leur aversion des étrangers, c’est aussi le cas de leurs Pokémon, d’autant plus lorsque ceux-ci ont déjà subi de longues insistances de la part d'envieux ayant voulu les arracher à leur terre natale.
Souhaitant me moquer de son comportement, je le salue d’une de mes ailettes en me balançant sur ma citrouille de gauche à droite. Sans succès : l’autre demeure figé, sans pour autant prendre la parole. Il semble attendre qu’on s’en aille, tout simplement, comme si notre présence menaçait son point d’eau.
En le voyant, les deux Moumoutons qui tournaient autour du rocher redoublent de bêlements et s’empressent de se mettre derrière-lui, prêt à le suivre où qu’il aille sans vraiment y avoir réfléchi.