Saison Un

: Obscure Prophétie

— Oooooh, je vois ! Voui voui c’est elle !

Elle est pas bête Vivia quand même ! Moi j’avais oublié qu’elles s’étaient vues au bal du coup.

Oooooh, il est trooop mignon son Tentacruel ! Regardez, il lui amène un petit diamant pour sa copine ! C’est si choupi ! Ça confirme ce qu’elle dit sur ses Pokémon : ils sont vraiment tous gentils. En plus, ils s’entraident et se protègent entre eux ! Dès que Fouifi en a menace un, les autres voulaient l’aider ! Dans mon équipe, c’est plutôt le contraire : si Split a le malheur d’entrée dans un périmètre autour de Fouifi, il se prend une mandale. Pareil pour Truc. Y’a qu’eux qui s’entendent bien, d’ailleurs : Split et Truc. Tous les autres ils en font qu’à leur tête ! Heureusement que Prince (il est à part, lui, je le considère pas comme mon Pokémon), il est plus sage. Ça en fait au moins un !

— Sont vraiment tous super mignons tes Pokémon en fait ! On pourrait les regarder faire pendant des heures ! S’ils avaient été là dans…

Attendez, elle a parlé d’en faire quelque chose ? Ça me donne une idée, qui du coup balaye la précédente avant même que j’ai fini de l’exprimer :

— Oh, oh ! Attend, plus important : ça me fait penser, tu connais Roger ? (pasque y’a forcément qu’un Roger dans tout Mistral) Sa mémé à Frime, c’est elle qu’a cousu le nœud papillon de Truc, peut-être qu’elle pourrait te dire comment faire un super beau truc avec la pierre ?

Clong. Je sursaute tandis que Fouifi atterrit directement sur mon sac pour y déposer sa trouvaille sans aucune préoccupation pour ma personne. Elle repart aussitôt, plongeant une seconde fois pour s’en aller quérir une deuxième partie de lustre. Je me frotte la tête d’un air gêné avant d’ajouter :

— Je sais pas ce qu’elle veut en faire, mais on dirait que je viens de me transformer en porte bagage !

Autant en rire ! De toute façon, la Fouinette nous expliquera pas ses plans d’elle-même. Je verrais bien le jour où ces machins ressortiront du sac, elle sera pas la première à profiter de mon sac ainsi… N’EST-CE PAS ?
…
C’est ça, fait celui qui fait dodo ! N’empêche que l’appareil photo, je l’ai toujours avec moi juste pour toi !

La discussion reprend autour de Fouifi. Hum… Lise Sens ? Ça me dit vaguement quelque chose… Surement pasque c’est une championne : les gens en parlent tout le temps. D’habitude, ça m’intéresse pas, mais Vivia marque un point :

— C’est vrai que comme Fouifi cherche toujours à se battre, peut-être qu’une championne qui se bat aussi tout le temps saura comment je dois m’en occuper ? Les éleveurs de Fouinette, par contre, c’est pas la peine. J’ai jamais vu une Fouinette comme Fouifi dans un élevage ! Normalement, les Fouinette ça court, ça fuit et ça fait le guet pour pas finir en écharpe, c’est pas mal tout.

Et je peux le dire : j’en ai chassé des tas, moi, des Fouinette ! Depuis mon plus jeune âge. Fouifi, dès sa capture elle était pas normale !

— Hé, vous deux !

C’est le scientifique qui nous interpelle. Aurait-il enfin fini de faire semblant de calculer la taille de la falaise ?

— On est pas mal bon, les résultats sont stables, mais je préfère ne pas prendre de risque. Faut rajouter ce produit sur toute la surface de la falaise sous le pont pour la protéger des intempéries, vous pouvez faire ça ?

Il nous pointe du doigt un énorme seau de liquide transparent dans lequel sont plongés plusieurs rouleaux de  peinture.

Une description de Roger ? Hmm… je prends quelques instants pour y réfléchir avant de trouver l’idée parfaite :

— C’est un grand monsieur qui aime beaucoup les plantes, même celles qui sont pas belles dans les marais ! Même que Truc il est super copain avec Ambroise, son Skitty !

C’est pas exactement une description physique, mais je me dis que ça devrait faire l’affaire. En tout cas, c’est ce que j’ai retenu de principal !

— Il fait des photos aussi ! Même que Ciboulette aime pas son appareil pasqu’il montre pas les photos tout de suite.


Alors qu’on parlait de Fouifi, le monsieur scientifique nous interrompt pour donner son plan de guérison pour la falaise. Et apparemment, ça déplait à Vivia. Presqu’aussitôt, l’homme s’emporte :

— Non mais oh ! Ça va, là ? Est-ce que je vous dis comment faire votre boulot de ranger, moi ? C’est vous les scientifiques, ou c’est moi ? Contentez-vous de faire votre part.

Maiiis, c’est lui qui nous demande de faire un truc qu’on peut pas faire. Je gonfle les joues, énervée qu’il se contredise tout seul. Puis les choses empirent – tandis que pendant ce temps Fouifi rajoute un morceau de lustre dans mon sac sans se préoccuper de nous –.

— Tiens, ton serpent là, t’as qu’à monter sur sa tête et vous pouvez en faire presque la moitié.

À ces mots, Prince abandonne immédiatement son poste et se redresse de tout son long pour souffler sa colère sur le scientifique. Comment ça, ce bougre prend le prince pour un monte-charges ? Il est déjà bien gentil de m’assister dans cette basse besogne et patauger sur une terre aussi dégradante, il n’acceptera pas d’aussi se laisser insulter.

— Ah ben bravo, si en plus vous dites des bêtises on va pas y arriver ! Personne il monte sur Prince, c’est dégradant ! Dites pardon !

Sauf Piège. Mais c’est pas pareil, Piège c’est comme un bébé, elle est toute bêta en plus. En tout cas, l’homme est devenu tout rouge. Je sais pas trop si c’est de honte, de peur ou de colère, mais il ose plus rien dire devant l’énorme Pokémon qui pourrait le manger tout cru. Je tapote le Dunaconda pour essayer de le rassurer.
Clong. Troisième morceau de lustre. Sauf que cette fois, Fouifi a remarqué la scène. La voilà s’approcher. Tout sourire, elle me pointe l’humain de ses griffes, l’air de demander "je peux le déchiqueter ?".

— Nooon, Fouifi ! On est en mission, c’est sérieux ! Comme quand j’étais…

Rien à foutre. Après avoir roulé des yeux, déçue par cette réponse négative, la fouine est retournée dans la flotte sans attendre la fin de ma phrase. Du coup, je l’ai finie d’un soupir. Bon… Et maintenant, on fait quoi pour cette falaise ? Et pour le monsieur qui sait plus où se mettre ? J'crois pas que Prince va vouloir l'aider plus longtemps.

Apparemment, c’est vraiment pas une bonne idée de répliquer. Quand Vivia dit qu’elle est scientifique, le monsieur il s’énerve encore plus. Heureusement (enfin je crois), sa machine s’est mise à fumer à ce moment-là, alors il a d’autres choses à s’occuper. Ben voilà, je savais bien que c’était nulle tous ces trucs de scientifique ! À part te péter à la gueule, ça fait jamais rien !

Vivia tente de calmer le monsieur, en vain. Je soupire, puis accueille sa question d’un hochement de tête négatif.

— Nan, t’as raison, ça sert à rien de rester. On peut rien faire de toute façon, c’est comme pour ma…

Clong. Un quatrième morceau de lustre rejoint les précédents. À croire qu’elle ne va pas s’en lasser.

— Puis je suis assez chargée ! d’accord Fouifi ?

Cause toujours ! La voilà qui repart à la flotte. Bah elle ramènera celui-là toute seule ! Je m’approche du monsieur et lui tapote sur l’épaule pour essayer de le calmer.

— Monsieur ? Faut qu’on remonte, on va trouver des gens qui peuvent peinturer mieux que nous ! De toute façon tout était fini avec le machin, non ?
— Mais là n’est pas la question, vous croyez que c’est facile de fabriquer ce genre d’engin ?

Je réponds pas. Ça lui aurait pas plu, je pense, que je dise qu’on s’en fiche pas mal et que ça sert à rien sa machine de toute façon. Depuis le début je le dis qu’il tient debout le mur !

— Bon allez, on remonte.

Et sans attendre une énième réplique de sa part, je me mets en route. Direction le sommet, exactement à l’inverse d’où on est venus. Prince me suit aussitôt, ignorant le monsieur, et je fais un sourire à Vivia pour l’inciter à faire pareil.
Évidemment, entre sa colère et la panique de rester seul au fond des gorges, l’homme n’aura pas hésité bien longtemps avant de nous suivre.

— Oui, oui… en fait vous avez raison, je trouverai d’autres personnes… Moins incapables que ces deux idiotes.

Moi, on m’a dit que la mission c’était de descendre jusqu’ici et remonter ensuite, pas de faire de la peinture ! Je peux pas me permettre de mettre tout le monde en danger juste pasque le monsieur il change la mission au dernier moment, alors voilà ! En plus, on est même pas payées pour ça.

— Le principal, c’est que tout le monde il aille bien ! finis-je par dire à Vivia après une toux fatiguée en reprenant la marche auprès d’elle.

Et pour marquer le coup, je lui tapote l’épaule gentiment. Après-tout, c’est quand même notre première mission ensemble, même si c’est pas une vraie de vraie !

Vivia et le monsieur me suivent, on est parti pour une marche arrière bien plus simple que l’aller. Enfin, si personne s’évanouit en route ! Et qu’il n’y a pas d’autre engueulade. De toute façon, l’autre ronchon marmonne dans sa barbe, et nous on l’ignore. Tout devrait bien aller.

Du coup, le sujet revient sur quelque chose d’autre. Qui lui-même se fait vite interrompre par l’intérêt de Vivia pour Ciboulette. Je lui fait un triste sourire, contente qu’elle s’intéresse à la santé de mon copain. Par contre, ça va être un peu long à expliquer tout ça.

— Pendant que moi je faisais dodo, Ciboulette il a suivi Mort, le cavalier qui attirait toutes les âmes des gens qui mourraient. Les Pitrouille en fait, c’est un peu leur travail d’emmener les gens au paradis quand on meurt pas bien et que notre âme est toute perdue. Alors Ciboulette, quand il a vu toutes ses âmes qui avaient peur et qui hurlaient sans savoir quoi faire, il a voulu les aider.

L’orangé de mes yeux s’intensifie légèrement, le Pitrouille étant visiblement à l’écoute de ce que je raconte. C’est toujours plaisant d’entendre son œuvre résumée de la bouche d’un autre.

— Il a mangé toutes toutes toutes les âmes, du coup il est devenu immeeeense, plus gros qu’un château ! Et une fois qu’il a eu tout le monde, il les a toutes libérées d’un coup pour qu’elles puissent dire à tout le monde qu’elles étaient toutes tristes à cause de ce qui arrivait et qu’elles trouvent enfin le repos, un peu comme quand on a fini une…

Nan nan ! Je secoue la tête : c’est pas le moment de se perdre dans des explications annexe, restons concentrée !

— Sauf que y’en avait trop, alors Ciboulette ça l’a tout fait exploser le pauvre ! Quand il est revenu vers moi, il était tout cassé, il arrivait même plus à penser ou réagir. Du coup je lui ai promis qu’on fera tout ensemble pour s’aider tout plein et depuis il peut se reposer en restant dans ma tête.

Pas sûr que je sois très claire… Moi-même, je saurais pas dire si j’ai tout compris de ce qu’on a réussi à faire tous les deux ! En tout cas, avant, moi je faisais dodo à tout jamais et Ciboulette il était comme déjà mort, et après on est devenu tous les deux fusionnés et on pouvait presque vivre normalement ensemble ! Alors je crois qu’on a fait le bon choix. Nan, j’en suis sûre de toute façon, comme je dis à Vivia :

— Tu sais, c’est pasque Ciboulette il s’est sacrifié comme ça que ma maman elle a pu me dire aurevoir et qu’elle se repose maintenant. Et aussi que les Pokémon ils sont plus en colère contre les humains. Alors même si c’est fatigant qu’il se repose en moi et que les gens ils ont peur en me voyant, bah je m’en fiche. Ciboulette je ferais toujours tout tout tout pour l’aider si je peux l’aider. Même que lui il ferait pareil pour moi !

Plus jamais seuls. Plus jamais.

Je reste figée, les bras repliés sur moi-même d’un air gêné après avoir vu Vivia prête à m’enlacer. Au lieu d’aller vers elle, comme je l’avais toujours fait jusqu’à mon réveil, j’ai eu un pas de recul.

— Je… pardon.

Je sais pas quoi dire d’autre. Pire, je sais pas pourquoi j’ai fait ça. J’ai juste senti une énorme angoisse m’envahir à l’idée de la serrer dans mes bras, comme si cela risquait de provoquer un cataclysme pire que celui dont on discutait l’instant d’avant.
Le pire, c’est que derrière, c’est elle qui s’est excusée. Surement qu’elle croit autre chose, qu’elle a fait une bêtise, vu que la dernière fois je faisais des câlins sans aucune hésitation. Mais aujourd’hui…
Gardons juste nos distances. C’est pour le mieux.
Comme pour confirmer mes doutes, une terrible quinte de toux me prend à ce moment. Allez, assez trainé. Comme le monsieur le dit, faut encore qu’on monte jusqu’en haut. Pas que ce soit un défi, mais la mission doit se finir.

— Je sais pas si Ciboulette il se remettra vraiment un jour, mais il va déjà mieux aujourd’hui. Je l’entends parler dans ma tête, parfois, et il a même réussi à faire bouger mon bras l’autre jour. J’espère qu’il lui faut juste beaucoup de temps.

J’ai finalement décidé de faire comme si de rien était en reprenant sur le dernier sujet entamé. Cela nous tiendra au moins jusqu’à attendre le sommet des gorges.

Une fois là-haut, je me tourne vers Vivia :

— Eh bah, enfin fini ! C’était presque aussi ennuyeux que…

Je m’arrête en voyant le regard noir lancé par le scientifique. Même pas un aurevoir, le voilà qui nous ignore, tirant sa charrette en direction de ses camarades pour aller demander l’aide de quelqu’un d’autre afin de repeindre sa façade. Il y tient à sa connerie.
Bref, j’imagine qu’au moins, on n’a plus rien à faire ici. Je lâche un énorme soupire, lasse de ce comportement ennuyeux.

— Bon… Du coup, on va manger un truc comme on avait dit ? Ça sera forcément mieux que tout ça !

Clong. Le dernier morceau de lustre vient de rejoindre mon sac, tandis qu’une Fouinette râleuse rejoint mon épaule. Visiblement, elle n’a pas apprécié que j’embarque son porte bagages avant qu’elle n’ait ramené la totalité de ce qu’elle comptait récupérer là-bas. Je lui tapote la tête en guise de sermon, d’une main qu’elle s’empresse de repousser sans faire attention à ses griffes. Ah, Fouifi… Toujours aussi compliquée !

Mais passons. Assez d’emmerdes pour aujourd’hui. Un bon repas, voilà ce qui nous faut pour oublier tout ça !