Saison Un

: Obscure Prophétie

Brrrr, Vigneaux. C’est vraiment une ville toute nulle ! Si je pouvais, je m’y rendrais plus jamais de toute ma vie !

Malheureusement, je crois que j’ai pas le choix. Enfin, j’ai la chance de pouvoir éviter le cœur de la ville, contourner un peu pour me contenter de rejoindre directement le manoir, mais c’est là mon maximum. Car ce manoir, à priori, faut que j’y aille. C’est assez flou dans ma tête, mais… il me semble que… Jack a fait des choses pas bien. En plus, il était avec les méchants voleurs de Fouifi. Et… bref, j’ai des tas de choses qui m’arrivent à l’esprit, doublés d’un afflux de rumeurs qui courent.

Tout ce que je sais, c’est qu’il faut que j’aille là. C’est l’unique piste que j’ai pour Jack. S’il va bien. Faut que je sache si mon copain va bien. C’est tout ce que je veux savoir !

Je pénètre dans le manoir, ouvrant ces portes usées qui n’opposent plus la moindre résistance aujourd’hui. Brrr, l’intérieur met pas en confiance. D’ailleurs, Prince et Piège préfèrent attendre dehors. Je rentre juste avec Fouifi sur mon épaule, et le joyeux Truc à roulettes sur les talons.

— Bonjouuur ? Y’a quelqu’un ?

Pas de réponse. Je me sens juste observée. La lueur orangée de mes yeux vacille un peu. Ciboulette voudrait dire quelque chose. T’embête pas, Ciboulette, repose-toi ! Je m’occupe de tout pour le moment.
Truc brame en repérant un fantôme, roule vers lui, puis l’étrange créature disparait à travers le mur. Exclamation de joie pour le petit daim. C’EST UN LIEU HANTÉ ! On en avait pas retrouvé depuis le cimetière, la dernière fois ! Ni une, ni deux, le Vivaldaim lance sa fameuse attaque camouflage et se retrouve aussi spectral que les autres habitants des lieux. Ses roulettes restent au sol derrière lui, et sans la moindre hésitation, il fonce sur le mur pour suivre le fantôme.
Et bonk.

Je ricane en le voyant faire, tout en rangeant ses roulettes dans mon sac.

— Je crois que t’es pas complètement un fantôme comme ça, Truc !

Ah bah bon ! C’est bizarre, c’est pas comme quand Ciboulette fait sa magie. Il ne se sent pas vide, non plus. Il est juste… Tout content de pouvoir flotter dans les airs, léger comme un nuage de gaz !
En tout cas, faut pas déranger les fantômes, si y’en a. Sinon on va encore tous se faire punir comme Croa quand elle a abimé la tombe ! Alors je reprends la parole :

— Pardon on veut pas vous embêter pendant que vous faites dodo pour toute la vie, je cherche juste mon copain Jack, et Ciboulette m’a dit qu’il a été là à un moment !

Fouifi ricane. Jack. Le nom lui revient. C’est pas cet idiot dont l’autre Fouinette parlait lors de sa dernière venue ? Elle réalise que j’ai exactement la même démarche que Ciboulette lorsqu’il est venu ici. C’est débile, du coup. Si Ciboulette n’a rien trouvé, pourquoi moi ça marcherait ? Boarf, on verra ! Au pire, je peux bien fouiller l’endroit en attendant qu’il vienne ! J’ai l’impression qu’il vient souvent ici. Je sais pas pourquoi d’ailleurs… Comment je sais ça, encore, moi !

Je m’amuse à essayer de toucher Truc. C’est bizarre ! Un fantôme qu’on peut toucher ! C’est comme Ciboulette quand il se laisse toucher. Sauf que lui, il le fait quand il veut alors que Truc ça a l’air d’être tout le temps comme ça.  

Tout ça m’a un peu déconcentrée dans ma recherche, qui me semblait vaine de toute façon vu que personne répond. C’est donc une sacrée surprise d’entendre des pas qui s’éloignent en courant ! Je relève la tête vers le couloir le plus proche, nullement pressée.

— Y’a quelqu’un ?

Fouifi se plaque une patte sur le front en soupirant devant mon manque de réactivité. Eh, c’est pas ma faute, je veux pas embêter les gens ici, moi !
Je m’avance quand même en direction de l’inconnu, suivant ce qui me semble être la direction empruntée par le fuyard sans grande conviction. C’est pas un piège des fantômes, hein ? J’ai rien fait cette fois !

Sbaff !

Ça, c’est le bruit d’une queue de Fouinette sur ma tronche quand je me trompe de direction. Fouifi a passé quelques temps dans ce manoir, elle a eu l’occasion d’en explorer quelques parties, et je me dirigeais vers un cul de sac dont on voit déjà la totalité. Avec un air agacé de "faut vraiment tout faire soi-même ici", la fouine prend les devants et m’invite à la suivre pendant que je me frotte la joue. S’il y a quelqu’un dans le coin, elle se doute déjà d’où il se rend. Enfin… C’est plutôt que s’il ne va pas dans une certaine direction, ça ne l’intéressera pas. Parmi toutes les portes brisées et autres étages en ruines, il reste une pièce inaccessible dans laquelle la Fouinette n’a jamais pu rentrer durant son séjour. Si nous avons affaire à un quelconque "propriétaire" des lieux, et qu’il décide de se planquer, il ira certainement là-bas. L’occasion d’enfin découvrir ce que renferme l’endroit !

La théorie se confirme après quelques couloirs. Fouifi s’arrête, observe le sol. Des… Des poils de Fouinette ? Et pas les siens, hein. Des tout frais. Ça ne peut être qu’une personne.

— FOUIHIHIHIHI !

Oh que ça va être drôle ! Fouifi part en trombe, m’abandonnant parmi le dédale, profitant de raccourcis, trous dans les murs et autres connaissances des lieux pour atterrir directement devant la porte du laboratoire avant tout le monde.

— Fouifi, mais je rentre pas là-dedans, moi !

Le rien à foutre est à son paroxysme. Sachant que je ne crains rien en ces lieux, Fouifi a d’autres projets pour le moment.
Truc me secoue l’épaule à l’entente du vacarme causé dans une pièce non loin. Où exactement ? Aucune idée. Mais bon, c’est qu’un manoir ! On doit bien pouvoir retrouver une personne dans ce bordel, pas vrai ! Suivant l’ouïe du Vivaldaim fantomatique (en l’espérant plus fiable que l’autre lacheuse), je suis les traces de l’inconnu avec pas mal de retard.

Lorsque le fuyard arrive à sa destination, il a le bonheur d’y trouver une seconde Fouinette. Que voulez-vous : une ne suffisait pas. Et puis, elle n’est pas assez psychopathe, la sienne. Fouifi, par contre ? Après un petit salut de la patte à sa semblable, elle couine quelques moqueries… puis se met en boule et bondit, sa queue tournant autour d’elle pour s’abattre sur Jack avec Souplesse.

Ben quoi ? L’autre Fouinette a suivi un début de conseil en retrouvant sa propriété… Mais il faut bien s’assurer qu’elle ait aussi suivi les autres. Est-elle devenue assez forte pour se l’approprier définitivement et empêcher d’autres de s’en emparer ? Y’a pas 36 façons de vérifier ça. Fouifi n’a qu’à essayer de s’en emparer… au risque de le casser (oups ?) et voir le résultat.

Pfff, petite joueuse. C’est tout ce que tu as ? On joue les héros cinq secondes en s’interposant, on grogne, et puis quoi ? Ensuite, tu espères que je vais m’en aller et qu’il n’arrivera rien d’autre ? Ce n’est pas comme ça que tu m’empêcheras de te voler ton jouet. Tu mériterais que je le déchiquette en copeaux sous tes yeux. M’enfin… Kata va m’emmerder si je fais ça devant elle, vu que c’est le type qu’elle cherche, alors je me contenterai de toi.

Un sourire malsain plus tard, je bondis d’un salto sans me préoccuper du mime stupide qui cherche à calmer notre affrontement. Nouvelle souplesse, ciblant directement la Fouinette cette fois-ci avec pour intention de la plaquer face contre terre. Si l’attaque réussi, je la garderai ainsi écrasée au sol de ma queue, appuyant ma dominance contre cette vermine aussi pitoyable que le restant de nos semblables. Soit une gentille petite victime et peut-être que je ne t’ouvrirais pas le bide tout de suite.

De toute façon, tu l’as vu, ton jouet ? Il s’en fiche pas mal de toi. Le type s’amuse à câliner ses autres bestioles plutôt que de te venir en aide. Ne t’avais-je pas dit de le récupérer ? T’es aussi pitoyable qu’un boulet à son pied.

Je ne manque pas de traduire ces pensées à travers diverses railleries. Mes couinements frappent avec le même désir d’humilier la bonne à rien que mes attaques, et ce, jusqu’à ce qu’un invité surprise ne se joigne au câlin de groupe.

— Daiiiiim !

Entré en premier, Truc n’a pas hésité un seul instant avant de se jeter sur tout le monde, frottant son museau contre Jack et Anémone. Après ceux-là, les autres y eurent droit aussi, comme si de rien était, peu importe qu’il ne les connaisse pas.
C’est le troisième Truc différent que rencontre Jack. Enfin, mentalement parlant, on parle bien du même handicapé (tant physique que mental, si vous voulez mon avis), mais après avoir joué les trouillards et les râleurs, voilà monsieur "la vie est belle".

Et bien évidemment, l’abruti n’est pas venu seul. Ça se déplace en groupe, ces espèces-là. Faites place à la catastrophe ambulante !

— Jack ?

Juste un nom, lancé dans l’air. Kata s’est arrêté à l’entrée, attirée ici par le bordel et les lumières de cette étrange fête de retrouvailles. Elle doute encore, perplexe devant cette silhouette encapuchonnée. Cependant, comment douter plus d’un instant en voyant ceux qui l’entourent ? D’accord, il y a quelques têtes inconnues, mais elle s’imagine que, par exemple, cette chatte n’accorderait jamais autant de bienveillance à quelqu’un d’autre.
Alors elle s’avance, pas après pas, sa crédulité se muant peu à peu en un sourire chaleureux. En sera-t-il de même pour l’humain ? Aura-t-il même conscience d’avoir affaire à l’enfant avec ces yeux orangés qui percent les ténèbres ambiants ? Haha, qui sait ? Peu m’importe le résultat, tant que c'est divertissant... Et que je peux continuer à torturer ma petite jalouse aussi faible qu’incapable.

Après-tout, il semblerait que je ne sois pas la seule aujourd’hui à vouloir te voler ton Jack. Le grand prix est en jeu ! Un humain assez stupide pour être devenu quelqu’un d’autre un bon mois et avoir rasé la moitié du pays avec ses copains cavaliers ! Qui le récupèrera ? La fouine ultra possessive ? La gamine aussi stupide que lui ? Les fantômes squatteur du manoir ? Ou encore cette armada de bestioles dénuée de toute logique échappées de leurs balls ?

Je demeure impassible face aux assauts désespérés de ma victime, gardant ma queue plaquée tant que possible sur ma proie en l’agitant de mouvements brusques pour lui faire lâcher prise et la frapper de nouveau sur le sol. C’était pitoyable. Elle n’a même pas la décence d’abandonner, peut-être serait-il mieux de l’achever maintenant ?
Je n’en ai pas le temps, Jack prenant finalement la décision de nous séparer. Kata ne remarque l’affrontement qu’à cet instant, bien que peu surprise de me voir aux prises avec quelqu’un d’autre. Elle doit même être surprise que cette Fouinette n’ait pas déjà fini en lambeaux comme toutes les autres que l’on a croisées jusqu’ici. Et l’être d’autant plus en me voyant lâcher prise lorsque Jack s’en mêle sans lever les griffes sur ce dernier.

Parce qu’à mes yeux, contrairement à Doublette, Jack n’a fait qu’empirer la situation, marquant la défaite d’une humiliation supplémentaire.
De la pitié. C’est tout ce que tu auras de la part de ton humain. Tu es une peluche à câliner, comme toutes les autres. Mais vas-y, profite de ta douce existence. Un jour, le chasseur s’en viendra. Vous n’aurez qu’à vous serrer l’un et l’autre en attendant qu’il tire.

D’un bond, je rejoins l’épaule de Kata et m’y accroche fermement de mes griffes, marquant ma possession de nouvelles déchirures parmi ses vêtements. Après une grimace délicieuse de sa part, Kata tourne les yeux vers moi et m’offre une gratouille sur le crâne, supplique silencieuse pour me demander de rester tranquille.
Ma queue s’agite dans mon dos, expulsant quelques gouttes de sang extirpées par mon adversaire à terre sans que je m’en inquiète. Il est temps d’observer à présent. Kata… Quel intérêt avait-elle à revoir ce type ?

L’enfant s’approche de Jack sitôt qu’il enlève sa capuche, attrape l’une de ses mains bandées, caresse un instant ses bandages puis porte son attention sur son visage. Petit sourire gêné.

— Eh bah, t’as un état encore pire que moi ! T’es abimé de partout !

J’observe les blessures. Tout comme la plante et bien d’autres – et contrairement à un abruti de daim qui continue à voleter autour de Jack –, j’ai compris ce qui est arrivé. Haha… HAHAHA ! Mais c’est encore pire que prévu ! Je reporte mon regard sur Doublette. On dirait que ton jouet n’a pas l’intention de rester avec toi bien longtemps.~ Voilà ce qui arrive quand on les laisse faire ce qu’ils veulent. Et je sais de quoi je parle.
Kata ? Bien sûr que non, elle ne pige pas. C’est une abrutie. Pour elle, quelqu’un lui a fait ça. Après-tout, c’est le genre de blessure qu’elle pourrait infliger, avec ses quelques connaissances en anatomie liées à la chasse. Frapper à la jugulaire, c’est une méthode de faible pour tuer.
La maigre lueur orangée des yeux de Kata s’immisce sur le visage du petit Jack. Il ne répond pas ? Non. Il ne parle pas. Est-ce normal ? On ne dirait pas, Kata semble surprise. Elle a un temps d’hésitation, ses bras restant figés sur le garçon, comme perdus au milieu d’un geste qu’elle ne peut accomplir.
Finalement, elle en revient à la parole :

— Tu… t’as la voix cassée ?

Bravo ! Grand moment de déduction. Et l’autre idiot qui en rajoute…  En entendant ça, Truc se place juste devant le visage de Jack et commence à essayer de tirer sa mâchoire en posant un sabot plat sur son menton afin de regarder à l’intérieur, comme s’il pouvait y voir une blessure béante.
Kata éclate de rire avant d’écarter son compagnon.

— Pardon pour lui ! Depuis que je suis réveillée, Truc il essaye d’apprendre à soigner les gens comme font les gros Haydaïm de Jojo, du coup il doit vouloir t’aider aussi ! Mais t’es déjà un super soigneur, tu vas pouvoir te guérir, pas vrai ?

— Oh…

C’est trop triste, ça. Enfin, c’est surtout Jack qui a l’air tout triste depuis tout à l’heure, et j’ai pas l’impression que ce soit juste pasqu’il peut pas parler. Namého, je vais pas le laisser dire ça, moi ! Je suis sûre qu’il va y arriver en plus, il doit tout pouvoir soigner super Jack !

— Mais si, tu verras ça…

Sbaff ! Attaque surprise de la maman plante ! J’en sursaute tant je m’y attendais pas ! D’abord une baffe, puis sur le bide avant de faire un gros câlin. Et tout les autres qui s’y mettent pour râler à leur façon. Eh bah !

— Maiiiis, du calmeuh ! Il est déjà assez tout cassé !

Je m’interpose entre de potentielles nouvelles attaques tandis que Jack fond en larmes. Mon pauvre copain, il a déjà été assez réprimandé pour ses bêtises, la maréchaussée a dû le faire tout plein ! S’il est là aujourd’hui, c’est qu’il a le droit !
Par contre, j’ai pas vu venir la Fouinette par derrière. Rooh, mais arrêtez ! Pourquoi ils sont aussi énervés, tous ?

— Mais qu’est-ce que…

Sbaff ! Cette fois, c’est pour ma gueule.

— Fouifi ! prestai-je après avoir retiré une queue de mon visage rougit par la baffe.

Qu’est-ce qu’elle veut encore ? Je tourne la tête vers ma Pokémon qui semble au bord de la crise de nerf, désespérée par mon innocence. Personne ne peut le dire ? D’accord, elle s’en charge. Elle pointe Jack, et dans un geste des plus convaincants, mime de se trancher la gorge de ses griffes avant de se laisser tomber au sol, rattrapée par sa queue en guise de coussin.
Puis elle ricane pour assister au résultat, très contente d’elle.

— Mais non, qu’est-ce que tu dis ! Jack il a pas fait ça, c’est à cause du cavalier qu’il est dans cet état, pas vrai ?

J’interroge le garçon directement. Mais, euh… Je sais pas si c’est ses yeux, ses gestes, ou autre chose dans sa réponse, mais il semblerait que… En fait non. Il a bien fait cette bêtise, et c’est ça que tout le monde lui reproche le plus.

— Ah… dis-je en baissant les yeux, déçue d’apprendre cette vérité.

La lueur de mes yeux s’intensifie quelques instants. Je sais pas comment réagir. J’ai besoin d’y réfléchir. Pour sûr, y’a 2 mois, je l’aurais baffé à pleines forces en chialant toutes les larmes de mon corps. Aujourd’hui ? De toute façon, j’arrive plus à pleurer.

J’ai l’air absente, perdue dans mes pensées, ou plus loin encore. Et malgré l’orange de mes pupilles, personne ne prend la place. D’ailleurs, je m’étonne de ne pas entendre Ciboulette. T’es là, Ciboulette ?
Oui.
Qu’est-ce que je dois faire ?
…
Pourquoi tu me dis pas ? C’est toi qui commande, là, pas vrai ? Mais c’est pas comme avec Lise. T’as pas eu à forcer. C’est moi qui suit partie toute seule.
Dis, dis, pourquoi tu bouges pas et tu dis rien ?
…
Je comprends pas. C’est bizarre. Et du coup, mon corps reste comme une idiote plantée là, au milieu de la pièce. Beeeeh !