Saison Un

: Obscure Prophétie

Bien sûr que non. Je ne bougerai pas un seul doigt de Kata dans cette situation, même si elle me le demande. Je suis là pour elle, elle est là pour moi. En revanche, ce n’est pas à moi de vivre sa vie. Je ne serais que son metteur en scène, celui qui la guidera vers l’avenir qu’elle mérite, la reprendra si elle s’égare, l’encouragera dans ses réussites.
C’est aux acteurs d’agir dans les scènes les plus primordiales. Vous êtes deux dans ce décor lugubre, l’un de vous doit embrasser ce rôle. Si Kata en est incapable, c’est donc à Jack d’agir.

Ce qu’il fait.

Kata trésaille en sentant des bras se refermer sur elle. Pour la première fois depuis son réveil. La première fois depuis ce bal maudit. La première fois depuis qu’elle en fut privée de force.
Kata n’a plus serré personne ainsi depuis ce jour, de crainte qu’on les lui arrache des bras une nouvelle fois. Elle est restée seule, à sa façon, loin des siens. Le pauvre Split est sans doute celui en ayant le plus souffert, lui qui passait le plus clair de son temps à se faire trimballer par son humaine. Mais les humains, également. Kata s’approchait de ses amis, les saluait chaleureusement, mais jamais… Plus jamais elle n’a offert d’amour ainsi à qui que ce soit.

Et aujourd’hui, enfin, quelqu’un l’y contraignait. Et pas n’importe qui : son cher ami Jack.

Allez, Kata. Il n’est plus temps de rester inerte. Tu peux te laisser aller, personne ne pourra te l’arracher en ma présence.

D’instinct, ses bras finirent par se refermer sur le gentil Jack pour ne plus le lâcher. L’enfant se laisse entrainer, quelques larmes coulant enfin sur ses joues sèches depuis trop longtemps. À nouveau, je les laisse entre eux, ma lueur s’estompant peu à peu jusqu’à devenir une simple luciole parmi ses yeux.

Fouifi et Truc observent de loin, le second retenu par la première. Ce n’est pas le moment d’interrompre quoi que ce soit, les deux idiots pourraient en ressortir plus malheureux qu’ils ne le sont déjà. Truc cède et retourne vers Anémone. Quant à la fouine, elle observe sans se préoccuper des autres.

Ah, Jack… c’est amusant, quand on y pense. Chacun à notre façon, nous avons joué notre épilogue après l’apogée de notre histoire, puis d’autres ont décidé que nous avions encore un rôle à jouer. Pourquoi les gens craignent-ils tant la fin ? Il ne faut pas pleurer quelqu’un qui s’achève, mais se souvenir de son vécu. Enfin… faites comme vous le voulez, ce n’est pas à moi de décider pour vous.

Kata cligne des yeux, de nouveau elle, puis son regard se reporte sur Jack, guidée par d’inaudibles murmures. Elle l’attrape, le serre à nouveau.

— Je suis contente que tu sois là. Tu sais, j’avais peur de plus jamais te trouver.

La pauvre a déjà tant perdu, à son âge. Néanmoins, elle n’est plus seule. Elle ne le sera plus jamais.

— Je veux que tu restes pour toujours…

Elle ne parle ni du suicide, ni des cavaliers. Cherche-t-elle à pardonner, ou à ignorer ? Un peu des deux, surement.

J’aurais voulu que ce moment dure pour toujours ! Qu’on reste rien que tous les deux, à faire un gros câlin, sans avoir à penser à tout le reste. Qu’on soit juste contents d’être ensemble et que toute la tristesse du monde elle disparaisse.
Mais bon, c’est pas possible, pas vrai ? Si on restait tous les deux ici, ça serait exactement comme si je retournais faire dodo. C’est pas bien.
Et puis, on n’est pas vraiment seuls.
Certes.
Ciboulette aussi, il aime bien Jack, je crois. Et il est pas fâché de tout ce qui est arrivé. Ça m’aide à pardonner. C’est terrible, pourtant, mais… ma colère et ma tristesse, elles se font comme manger par une drôle de fierté et beaucoup beaucoup d’attachement envers Jack.
En vrai, j’ai pas envie d’y penser. J’ai juste envie de voir Jack comme Jack ! Mon super soigneur Jack ! Le meilleur de tous !

Mes quelques larmes ont séché. Les caresses silencieuses de Jack transforment l’ambiance en un mélange troublant de gêne et de bienveillance. Lorsqu’il le brise en s’éloignant, je reste quelques instants sur le lit à le regarder, un petit sourire osant s’immiscer sur mon visage en comprenant qu’il reviendra.
Je me redresse en position assise. Fouifi m’a rejoint sitôt que Jack s’est éloigné. Sans un mot, je l’attrape de mes deux bras puis la serre contre moi à son tour. Ne s’y attendant absolument pas, la Fouinette couine puis se défend immédiatement de ses griffes sur ma joue.

— M’en fiche, dis-je dans un sourire tandis que le rouge s’écoule de trois petites lignes sur mon visage.

Cela fait tellement longtemps que je voulais faire ça ! Reprendre ma Fouifi dans mes bras, même si elle déteste ça ! Je lui dirais toujours à quel point je l’adore, tant pis si elle me déteste en retour.
La fouine n’aura guère besoin de forcer longtemps pour se libérer de mon étreinte. Elle gronde sans me regarder puis se défoule sur les draps du lit pour se retenir de m’attaquer davantage dans mon état. Elle est vraiment drôle ! Elle sait pas ce qu’elle veut, c’est évident.

— Jack va nous gronder, maintenant !

Je dis ça avec une pointe d’humour, consciente que ce n’est pas bien grave. Vu l’état dans lequel on est, on se plaindra pas pour une couette déchirée.
Enfin, je me redresse et laisse la boudeuse seule dans son coin pour faire quelques pas et rejoindre tout le monde. Là-bas, mes yeux se posent sur les Pokémon de Jack. La lueur de Ciboulette revient à la vue de Luna, tant que je me sens obligée d’y ajouter quelques commentaires :

— C’est cool que vous alliez tous bien, vous aussi. Je crois que Ciboulette, il était tout inquiet pour vous aussi. Il peut pas venir dire bonjour, mais il est quand même là !

J’ai l’impression qu’il est déçu, d’ailleurs. Je peux te laisser la place, si tu veux ?
Non.
Ah bah bon, comme tu veux ! T’es bizarre, parfois.
Du coup, j’attends que Jack ait fini ses affaires.

De son côté, Truc "assiste" le scientifique en le suivant partout, bramant chaque fois qu’un truc bizarre passe de la main du garçon à son sac. Mince, d’ailleurs ! Faut qu’il montre ses roulettes, lui ! Mais pour l’instant, il flotte, et c’est encore mieux que de rouler. Il a déjà son petit nœud papillon, c’est déjà bien ! Il est cool, hein ? Son nœud papillon accroché à un serre-tête sur son crâne à la place de sa fleur ! Sans en avoir conscience, le Vivaldaim est encore plus envahissant que d’habitude sous sa forme spectrale.

Hihi, elle est mignonne la Miaouss de Jack. Dommage que je comprenne pas les Pokémon, moi ! Je peux pas dire grand-chose de plus à la place de Ciboulette. Je sens que ça l’agace un peu, le pauvre. Désolé, Ciboulette ! Quand tu iras mieux, on s’amusera avec tout le monde.

Truc se met à rire en écho à celui de Jack. Je parie qu’il a pas compris la raison, mais il semble content de voir l’humain retrouver son sourire ! Par contre, c’est agaçant ce mutisme ! Le daim grommelle, mécontent, puis se colle contre le cou de l’humain, près de son pansement. Quelques éclats lumineux vrillent son pelage spectral.
Voilà qu’il recommence ! Jack peut sentir une très faible chaleur contre lui, le Vivaldaim cherchant à utiliser synthèse pour que l’humain se sente mieux à son tour. Hélas, il n’a appris cette compétence que très récemment et ne la maitrise absolument pas. D’ailleurs, est-ce que ça pourra soigner des gens ? Ou juste lui ? Je sais pas, mais il a l’air de vouloir essayer.

Je fus alors interrompue dans ma discussion de sourds par un soudain tremblement de terre. Kekekekwa ? Attend… je connais ce pas ! C’est un tagada de Bourrinos, ça !
Pouf, en voilà un qui entre dans la pièce avec la finesse caractéristique de son espèce. Je m’écarte dans un premier temps, ne souhaitant pas me trouver dans le sillage d’un tel mastodonte.

— Jack ? Attention !

Ouf, il s’arrête juste avant ! Apparemment, les deux se connaissent. Je m’approche sous les encouragements de Jack, lequel prend ma main pour caresser le cheval.
Silence. J’ai pas peur, au contraire. Je suis plutôt triste.
Après un temps, je parviens à exprimer ma peine :

— Il… Il me rappelle Grand Dada… (je laisse un profond soupire m’échapper sans quitter le cheval des yeux.) Lui aussi, il est tout abimé comme toi, le pauvre.

Je passe ma main avec douceur le long de certaines cicatrices. Puis lui gratouille une oreille en voulant le rassurer.

— C’est lui qui avait cassé ton lit à Kedal, pas vrai ?

J’ai un petit sourire moqueur à ce souvenir. Quel souvenir d’ailleurs ? Comment je sais ça, moi ? Aucune idée… Mais je le sais, et du coup, ça m’a paru évident.
C’est aussi lui qui a voyagé aux côtés de Jack pendant le cataclysme. Celui que Ciboulette a vu des fenêtres du manoir.

— Faudra qu’on refasse une journée tous ensemble, comme ça.

Une journée avec juste des gens heureux ! Peu importe tout ce qui se passe ailleurs ou ce qui s’est passé. Mais…

— Tu es pressé, pas vrai ?

Je regarde son ballotin. C’est vraiment bien qu’on ait pu se retrouver aujourd’hui, je suis contente, mais… mais il est pas venu pour moi du tout, contrairement à moi. Si j’avais pas été là, sa journée aurait été toute pareille. C’est… c’est pas ma journée de Jack.

Évidemment, il répond pas. Il peut pas trop avec sa blessure. Je sens un picotement au cœur en le voyant jeter un œil à l’extérieur, comme s’il étudiait la possibilité de partir immédiatement. Puis… puis c’est quoi ce sourire bizarre ? Il s’empare d’une craie et… Écrire ! Oh, mais oui on peut parler comme ça !

Je délaisse pour aller lire le Gros Dada. Je parie qu’il s’appelle comme ça, vu comment il est énorme ! Encore plus que Grand Dada ! Et il a l’air tout joyeux, même quand ses copains lui font des yeux plein de reproches, c’est marrant ! Comme un énorme Ursaring en peluche !

— Pas… Si… C’est…

Bref, je lis. Avec ma vitesse exceptionnelle de lecture. Ça doit être drôle de me voir concentrée comme ça, toute sérieuse jusqu’au dernier mot pour enfin comprendre le sens de tout ce que je viens de lire en le répétant une deuxième fois d’une seule traite.
C’EST TROP GENTIL ! Je lui saute au cou, trop contente qu’il me dise ça ! Un câlin plus tard, je le laisse effacer pour réécrire la phrase suivante.

— DAIM !

J’ai à peine eu le temps de finir la phrase qu’un certain morfal a donné son avis. Ai-je vraiment besoin de traduire ce "MANGER !" spontané ? Je pense pas. D’autant que j’aurais surement donné une réponse identique en d’autres circonstance ! Après un bon fou rire, j’attrape une autre craie, efface la phrase à mon tour puis me met à écrire la réponse avec un grand sourire aux lèvres.

« On peuh fer sa !!! »

Voilà qui devrait expliquer mon temps de lecture. Néanmoins, au lieu de m’éloigner pour laisser Jack écrire une autre phrase, je continue à gribouiller sur le tableau, me saisissant d’autres craies selon mon besoin tout en cachant le résultat aux yeux de Jack en me mettant devant. Clac, clic, clac…

— Tadaaaaa ! dis-je fièrement sitôt mon œuvre terminée en un temps record.

Sur le tableau se tient un petit personnage très grossièrement dessiné. Ça m’amuse, par contre je sais absolument pas dessiner. Je lui ai fait des petites tâches de rouge sur le visage, des yeux tout bleus, et une petite mèche bâtarde de cette même couleur perdue au milieu du tas informe de cheveux faits à l’arrache. Inutile de dire que le nez est juste un rond, au même titre que le ventre et les bras. Mais le plus important, c’est que je lui ai fait un graaand grand sourire, avec toutes ses dents en ligne pour qu’on le voit bien qu’il est tout content ! Et j’espère que je vais réussir à l’avoir fait naitre sur le visage du vrai Jack, ce sourire ! Quoi qu'il en soit, je lui tends une craie pour lui donner envie de continuer ce dessin ensemble !

Pendant ce temps, Truc – bien qu’un peu frustré qu’on fasse attendre l’heure du repas qui n’est pourtant pas vraiment à l’heure – a décidé de passer à son occupation préférée numéro deux. Un doux sifflement s’élève en arrière-plan des rires et autres murmures, similaire à celui du troupeau de Jojo. Sauf que Truc, lui, il cherche pas à endormir tout le monde, il aime juste bien faire de la musique n’importe quand. Et avec tous les entrainements qu’il a fait, maintenant il siffle bien, c’est tout doux à écouter !

Y’a juste Fouifi qu’apprécie pas vraiment. La voilà qui revient vers nous, un air blasé sur le visage tandis qu’elle achève de secouer une de ses pattes pour libérer un morceau de drap déchiré. Elle nous regard tous, tour à tour, l’air de se demander ce qu’on peut bien être en train de foutre. Entre le vacarme du daim et celui des craies sur le tableau, elle sent venir l’activité ennuyeuse au possible…

Ça a marché !!! Je souris en retour, toute contente d’avoir réussi à faire sourire mon copain !
C’est ensuite au tour de Jack de dessiner, et on peut dire qu’il est plus doué que moi. Y’a un style marrant dans ses dessins, mais je reconnais tout de suite ! En plus, c’est trop mignon, ils se tiennent la main sur le dessin ! J’applaudis tout plein, heureuse de la tournure de notre super dessin groupé. Allez, je reprends moi aussi ! J’attrape une autre craie et commence à dessiner ceux que Jack a pas encore dessiné, comme Split et Monsieur Croa. Surtout Split, pasqu’il est facile à dessiner ! Et Fouifi ? Ah, non, y’a déjà l’autre Fouinette qui la dessine. Je pouffe en voyant la grimace pas contente qu’elle lui fait, puis tourne la tête pour voir la réaction de Fouifi (un peu inquiète, faut l’avouer). Sauf qu’elle est déjà plus là, Fouifi. Agacée par les chants et la bonne humeur, elle s’est tirée, tout simplement. Elle fait toujours ça dès qu’elle comprend que je suis en sécurité et que je compte rester quelque part longtemps. On retrouvera surement quelques cadavres de Pokémon sauvages à la bordure de Vigneaux d’ici plusieurs heures. Après-tout, pour elle comme pour nous, c’est bientôt l’heure de miam !
Bon, et du coup, mon dessin ? Bah je dessine Doublette, en essayant de l’imiter tout pareil mais avec un sourire à la place de la grimace ! Puis je regarde le dessin et m’exclame :

— Hihi, on va plus savoir qui est qui !

Bientôt, on a plus grand monde à ajouter. De toute façon, Jack décide d’aller faire à manger. Faut dire que Gros Dada commence à manger les réserves. Et du coup, en voyant l’autre se servir sans ménagement, Truc s’est cru dans son droit à l’imiter. Adieu petites pommes. Et aurevoir la musique d’ambiance aussi, à moins qu’un autre Pokémon ne reprenne.
Oh, mais j’ai oublié quelqu’un sur le dessin ! Sacrilège ! J’attrapes deux craies orange et noir. Voilà ! Là, c’est mieux ! Mon dessin cartoon a désormais une citrouille posée sur la tête avec un petit spectre qui en dépasse. Et il brille ! Comme mes yeux ! Ça se voit, pasque j’ai fait plein de traits dans tous les sens autour de lui.

— T’as vu Ciboulette ? Je t’ai bien réussi aussi ! m’exclamai-je toute guillerette.

Charmante attention, petite.
J’suis bien contente de moi ! Maintenant, y’a presque tout le monde ! Par contre, il fait noir d’un coup, non ? Qui qu’il a éteint la lumière ? Je me tourne vers l’extérieur occultée par une énorme collerette d’or et d’argent.

— AH ! (je me reprends aussitôt.) Oh, Prince ! Tu m’as fait peur !

J’accoure vers le stalker qui nous observe de la fenêtre, son corps dressé à la verticale le long du bâtiment. Il se baisse légèrement pour qu’une grosse mâchoire orangée puisse rejoindre la fête.
D’accord, j’ai compris. Ils ont vu Fouifi sortir, du coup ils sont venus voir. Et comme Piège a senti la bouffe, plus moyen de la retenir !

— Ah, je t’ai jamais raconté, Jack ? J’ai rencontré un Pokémon encore plus gourmand que Truc, regarde ! Et attention aux doigts, elle mord ! Hihi !

J’attrape la Kraknoix par les pattes et la présente à tous le monde dans la pièce.

Pendant ce temps, à l’extérieur… Fouifi s’est arrêtée face à une étrange situation. Y’a un type, là, par terre. On dirait qu’il dort tout vêtu de ferraille. Ou alors il est mort ? Cherchant à résoudre le mystère avec sa finesse légendaire, la Fouinette balance une souplesse sur le casque de l’homme évanouit.